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où? Je veux me souvenir, je ne peux pas. Mon unique idée, la veille, était que l’on m’observait, qu’un ennemi m’épiait. J’erre à droite, à gauche, cherchant à m’orienter. Rien, rien. Je me laisse tomber au pied d’un arbre; machinalement je ferme les yeux. Soudain il me semble voir se dessiner sur ma rétine un coin de paysage clairet net: à ma gauche, un bouquet d’arbres; à ma droite, un talus de sable ; devant moi, deux arbres, dont l’un est découronné parle vent; entre les deux, dans le lointain, une colline couverte de chapparal. J’ouvre les yeux, je fais quelques pas ; voici la dune, voici la colline, à ma gauche, le bouquet d’arbres. J’avance, en rampant, dans la position où j’étais la veille quand, couché sur mon lingot, j’interrogeais l’horizon d’un œil inquiet. A mon insu, l’image s’était fixée là, je la retrouve, et, sans hésiter : — Fouillons ici. Quelques coups de pioche suffisent ; peu d’instans après, le lingot était solidement amarré sur notre mule et nous partions, non sans avoir fait quelques entailles aux arbres pour permettre à mes compagnons de retrouver l’endroit. Puissent-ils aussi bien réussir ! Mon lingot est ici, dans la cabine du capitaine, et si nous ne sautons pas cette nuit, je l’échange dès demain contre de bonnes traites sur Londres. »

Le lendemain, en effet, il le vendait à la maison Walls Fargo et Cie au prix de 123,000 francs. Le lingot resta un mois exposé dans leur comptoir à côté d’un autre valant 135,000, trouvé par quatre Français. Plus sage que nos compatriotes, qui dépensèrent en quelques jours à San-Francisco le produit de leur trouvaille, mon Italien emporta son argent avec lui.

Depuis longtemps, les placers secs sont abandonnés. Ils furent les premiers à s’épuiser, l’eau n’y amenant plus d’or. Quand les mineurs les quittèrent, les Chinois les envahirent et trouvèrent encore à récolter sur ce sol dédaigné. Après eux, il serait difficile de glaner.

Les placers du nord offrirent également au début quelques exemples de fortunes subites. Pendant longtemps, on s’en tint à la recherche des poches et au lavage du sable sur le bord des cours d’eau. On attendait ensuite que la saison des grandes pluies ramenât des montagnes des terres aurifères. Les mineurs affluaient alors à San-Francisco, dépensant en quelques semaines le produit de plusieurs mois de travail, et repartaient pour les mines au commencement de la saison sèche. Il en fut ainsi jusqu’à ce que l’on s’avisât de recourir à des procédés moins lents et moins incertains que ceux de la nature. On s’était aperçu que toutes les terres aurifères ne se trouvaient pas à proximité des rivières et des torrens ; on reconnut par le relief du terrain que certains cours d’eau s’étaient