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était dénudé et plaqué de teintes bistrées, si légères au sommet, qu’on distinguait à peine la ligne de faîte sur le bleu argenté du ciel.

Je venais de traverser un dédale de rues étroites, bordées de maisons basses couvertes en chaume, et sillonnées d’une foule active et bigarrée. Les hommes, de très haute taille avec de grands yeux, le regard droit, les traits durs, la physionomie vive et intelligente, étaient coiffés d’immenses chapeaux à larges bords en treillis de crin noir et vêtus de longues robes des nuances les plus délicates : blanc crème, bleu turquoise, rose saumon, vert d’eau, jaune topaze ; il n’y avait pas un vêtement qui fût de couleur franche ou foncée. Les femmes, laides, d’une laideur vulgaire et sensuelle, sans grâce dans la démarche ni élégance dans la toilette, portaient sur la tête une pièce de soie légère repliée et fixée sur la chevelure de façon à former un paquetage bizarre d’étoffes, de chignons et de torsades; la jupe, de nuance claire comme le costume des hommes, se rattachait à une ceinture qui soulevait et découvrait les seins, car le corsage, ne descendant pas plus bas que les aisselles, laissait à nu toute une zone du buste.

Ma chaise à porteurs m’avait conduit dans l’ancien palais des rois de Corée, qui est situé dans la partie nord de la capitale, au milieu d’un parc abandonné. Dans ce quartier de la ville, la tranquillité et la solitude étaient si profondes que l’on n’entendait même pas ce murmure confus et sourd qui est fait de tous les bruits d’une grande cité vivante et qui de loin semble le souffle perceptible des milliers d’existences accumulées dans ses murs.

Des cours spacieuses et de larges avenues dallées de marbre, des temples de style chinois, des salles du trône surchargées de boiseries sculptées et surmontées au frontail d’une inscription à demi effacée, puis une succession de petites cours, de petits jardins, de petites maisons, de kiosques et de pavillons se rejoignant, se superposant, s’enchevêtrant les uns dans les autres dans un fouillis inextricable, c’était là tout ce qui restait de la résidence royale. Et tout cela était dans un délabrement lamentable ; l’herbe poussait épaisse entre les dalles du sol ; des tuiles vernissées d’or, des boiseries peintes, des fragmens de corniches, des battans de porte, des panneaux de paravens laqués, des débris d’armures et de harnachemens jonchaient le sol. Mais çà et là un rhododendron en plein épanouissement ou un magnolia chargé de fleurs rouge ponceau faisaient un contraste étrange avec toutes les choses mortes qui les entouraient.

Il n’y avait pas une âme dans ce vieux palais, à l’exception de deux eunuques très âgés qui servaient de gardiens à la porte extérieure.