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du corps est toujours naturelle et les plis des vêtemens retombent avec élégance. De toute leur personne se dégage une impression délicieuse de grâce pensive, de langueur caressante et de capricieuse volupté.


Le souvenir de ces époques brillantes, où l’empire du Nippon était à la tête de la civilisation de l’extrême Orient, s’évoquait là, devant moi, dans le vieux palais de Kioto et s’associait, pour ainsi dire, à celui de ces créatures gracieuses, qui en avaient été le charme et la poésie.

Dans les temples laqués d’or, sous les colonnades de cèdre des salles du trône, au bord des fontaines où baignaient des lotus, ces formes d’un monde disparu semblaient flotter encore et renaître à la vie d’autrefois. Je les voyais surtout glissant dans l’enfilade des chambres du palais, se détachant à peine sur les peintures à l’éclat adouci qui en ornaient les murs. Dans l’une de ces chambres, les panneaux représentaient tous des paysages d’hiver, un village disparaissant sous la neige, un bois de cryptomerias chargé de givre, un lac glacé aux rives indécises, un ciel bas et ouateux, et, sur la monotonie blanche de la plaine et des eaux gelées, la clarté boréale d’une lune à son dernier quartier.

Mais la pièce voisine était tout ensoleillée, pleine de vie et de lumière : sur un nuage rougeâtre bordé d’or, des oies sauvages s’envolaient à grands coups d’aile dans le ciel bleu pâle, d’un bleu presque vert, et planaient haut par-dessus la plaine, qui, vue de si loin, s’estompait de teintes violacées dans la vapeur des rizières et des prairies inondées. Plus loin encore, dans les appartemens des impératrices, des paravens de laque dorée encadraient des oiseaux, des paysages, des bouquets, des chariots ou des jonques chargées de fleurs; et sur les murs, sur les plafonds, c’était aussi une profusion de fleurs de cerisiers et de pêchers, de chrysanthèmes et d’iris, de roses trémières, de clématites argentées, de magnolias et de dahlias, tout un printemps représenté, rêvé plutôt, dans les gammes les plus fines, — avec une harmonie exquise de composition, un rappel insensible de toutes les couleurs ambiantes, avec une fraîcheur et une légèreté de nuances, un charme de tonalité et une délicatesse d’observation qui donnait l’illusion de la présence des objets et les animait presque d’une vie réelle.

Par l’ouverture des portes, la vue se prolongeait sur le jardin tout entrecoupé de ruisseaux et de rocailles, planté d’arbustes rares, de camélias, d’orchidées et d’anémones, ombragé de sophoras et de pawlonias, baigné de la lumière douce et vaporeuse d’une après-midi d’automne japonais.

À cette heure, dans ce lieu, toutes les impressions pittoresques ou