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au jour de sa naissance et sert à le distinguer dans sa famille ; le second lui est conféré à son avènement au trône et revêt dès lors un caractère sacré et si vénérable qu’il est interdit, sous peine de lèse-majesté, d’en prononcer les syllabes ou d’en tracer les caractères. Le troisième nom ne lui est décerné qu’après sa mort et désigne désormais dans l’histoire les années de son règne comme le nom dont les papes font choix en ceignant la tiare désigne leur pontificat.

Dans l’ordre politique, l’empereur jouit de la toute-puissance; l’absence d’esprit militaire en Chine et la destruction très ancienne de l’esprit de féodalité dans l’état ont enlevé au pouvoir impérial tout contrepoids, et son autorité s’exerce sans contrôle depuis cinquante siècles sur la vie et les biens de plus d’un quart de l’humanité. Le Fils du Ciel est ainsi le chef suprême et incontesté de la plus puissante orthodoxie politique qui fut jamais.

Cette alliance ou plutôt cette fusion de la religion et de la souveraineté en une seule personne devait fatalement donner au culte officiel une force prépondérante qui, dans la suite des temps, a atteint l’empereur même et qui fait aujourd’hui de ce souverain absolu l’esclave du cérémonial sacré et des rites de l’état.

Un ministère spécial veille au maintien et à la stricte observance de ces rites qui, s’appliquant à tous les rangs de la hiérarchie sociale, prévoient et ordonnent la conduite à tenir dans toutes les circonstances de la vie politique, religieuse ou privée. Leurs prescriptions canoniques remontent à une antiquité si reculée, elles se sont conservées immuables à travers tant de révolutions et de dynasties et elles ont acquis par cette perpétuité une autorité si incontestée qu’elles ont fini par modeler, pour ainsi dire, le caractère des Chinois et devenir pour eux comme une seconde nature.

Mais pour le Fils du Ciel plus que pour tout autre de ses sujets, l’étiquette est la grande loi de l’existence, presque la grande affaire de la vie. Mois par mois, jour par jour, heure par heure, elle pèse sur lui avec une rigueur inflexible. Son lever et son coucher, son vêtement, ses repas, ses séances aux conseils des affaires publiques, ses devoirs religieux, ses études, ses divertissemens, ses attitudes et ses mouvemens, ses paroles et son silence, — tout est réglé avec une précision mécanique.

Depuis son plus jeune âge, avant même qu’il ait revêtu la dignité impériale, la solennité des rites le saisit, elle préside à son instruction littéraire et philosophique et lui impose la connaissance du chinois classique, des langues mandchoue et mongole, des principaux ouvrages de Confucius, du tir à l’arc et de l’équitation. Quand il a atteint sa majorité, elle l’oblige plus étroitement encore et dans le