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lotus s’épanouissaient et semblaient une prairie flottante sur l’eau claire et dormante. C’était le « lac d’or, » dépendance du Palais impérial, dont les hautes murailles et les toits dorés s’apercevaient au dernier plan.

Jusqu’au bord de l’eau, des constructions légères s’élevaient, des kiosques et des temples. Le fouillis de leurs toitures s’éclairait de teintes rosées, et les moindres détails de leur architecture compliquée se détachaient, prenaient dans l’air limpide qui les enveloppait un aspect d’élégance, de grâce et de fraîcheur au milieu des abricotiers et des mimosas en fleurs qui couvraient les rives.

La Chine du nord sortait en effet de son long deuil d’hiver, et c’était une impression exquise que cet aspect printanier de la végétation renaissante.

... La charrette tartare continuait d’avancer du pas rapide de sa mule : elle passait maintenant au pied d’une colline artificielle, plantée d’arbres verts, au sommet de laquelle un obélisque bouddhique s’élevait, se détachant presque durement sur le bleu du ciel.

Mais, sur le bord du lac, les teintes étaient déjà plus fondues, les lignes moins tranchantes. Les kiosques, les pavillons et les temples qui s’élevaient sur la rive reproduisaient tous le type originel des constructions chinoises : une tente de toile aux angles relevés. L’extrême profusion des détails d’ornementation ne parvenait pas à dissimuler la pauvreté de la conception première : des dragons, des chimères, des phénix, des tortues, toute une zoologie fabuleuse et fantastique de bois sculpté ou de terre cuite surchargeait les faîtières; des figurines et des fleurs d’argile peinte écrasaient les corniches, les larmiers et les frontons ; des couleurs voyantes bariolaient les chapiteaux des colonnes et les architraves ; mais, sous cette décoration touffue et désordonnée, on retrouvait toujours le type absolu et invariable que la Chine a uniformément adopté à toutes les époques de son histoire et sur toute l’étendue de son empire.

Cependant, j’étais arrivé à l’enceinte fortifiée du palais. Devant moi, un rempart, haut de trente pieds et précédé d’un large fossé, se dressait. De distance en distance, des tours aux toits relevés faisaient saillie sur cette ligne de pierre qui s’étendait si loin qu’elle paraissait enfermer une ville entière. Quelques arbres avaient poussé sur le talus du rempart, et l’ombre de leurs branches s’allongeait sur l’eau sombre et stagnante des fossés.

Une large porte surmontée d’une énorme tour carrée donnait accès à l’intérieur du palais, et trois lettres noires gigantesques gravées sur un panneau d’or au sommet de la tour semblaient une inscription mystérieuse placée au seuil d’un monde inconnu.

Et, tandis que la voiture tartare s’engouffrant sous la voûte pénétrait