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1,266 millions; le Canada, en 1883, importe pour 736 millions et exporte pour 549 ; de même au Cap ; je pourrais poursuivre à l’infini.

C’est que les membres de la chambre de commerce de Tunis ne réfléchissent pas qu’une colonie est comme un enfant qui, pendant toute la période de l’enfance et de l’adolescence doit naturellement plus recevoir que rendre. Quand une société française plante 3 ou 400 hectares de vignes en Tunisie, cela lui coûte 1,200,000 ou 1,500,000 francs, dont les deux tiers ou les trois quarts représentent le prix d’achat de la terre, le prix de la main-d’œuvre, les traitemens, etc. Mais le tiers ou le quart de ces 1,200,000 ou 1,500,000 francs vient en Tunisie sous la forme de charrues, de défonceuses, de machines agricoles, de matériaux de construction tels que les tuiles, les madriers, les colonnes de fonte, de vaisselle vinaire, parfois même d’animaux, comme des mulets ou des chevaux de France, etc. Toute cette importation enrichit la colonie, y apporte du capital. Ce n’est que plus tard, quand le vignoble est en rapport, que l’exportation se développe et fait rentrer les capitalistes dans leurs avances. Voilà l’explication de ce phénomène universel, que toutes les colonies, pendant la période de l’enfance et de l’adolescence, qui dure un demi-siècle, trois quarts de siècle, parfois un siècle ou davantage, importent beaucoup plus qu’elles n’exportent. C’est signe de santé, c’est surtout signe de croissance.

On ne peut non plus s’associer à la chambre de commerce de Tunis quand elle prend à tâche de démontrer que le budget tunisien est très fragile et que son excédent est tout à fait précaire. Ce parti-pris de dénigrement est lamentable ; il est, d’ailleurs, en contradiction avec les désirs exprimés par cette même chambre de commerce. Voilà des hommes qui déclarent qu’on a beaucoup exagéré la prospérité des finances de leur pays, et ils demandent des dégrèvemens énormes ; soyez logiques : si votre budget n’est pas solide, il ne faut pas réduire les impôts, il faut les accroître. Mais non, le budget tunisien vaut mieux que ne le dit la chambre de commerce de Tunis, il a un excédent réel d’environ 4 millions par an depuis quelques années ; seulement une partie de cet excédent peut tenir à ce que les récoltes des dernières années ont été excellentes et pourrait disparaître si l’on traversait une période de mauvaises récoltes. Voilà pourquoi il convient d’agir avec prudence et de ne pas disposer témérairement pour des dégrèvemens d’impôts de l’intégralité de cet excédent. Quant à l’idée d’une refonte complète des impôts, ce serait une souveraine imprudence : jamais aucun pays n’a pu réussir à substituer un système d’impôts nouveaux