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produisent de futurs et bons directeurs d’entreprises coloniales agricoles ; il ne s’agit pas seulement pour cet objet d’orner l’esprit de certaines connaissances, il faut encore façonner le caractère, apprendre aux jeunes gens à la fois à obéir, à surveiller et à commander. La difficulté de rencontrer de bons régisseurs est et restera longtemps l’une des entraves de la colonisation française.

Capital, talent et travail, telle était la formule assez exacte où une école du commencement du siècle renfermait les élémens nécessaires à une production perfectionnée. Les deux premiers étant trouvés, le troisième ne fera pas défaut. Sans être très abondante en Tunisie, la main-d’œuvre n’y manque pas. A la condition que les capitalistes dispersent leurs propriétés sur toute l’étendue cultivable du pays et ne concentrent pas leurs efforts sur une zone limitée, ils pourront se procurer dans des conditions acceptables des travailleurs. Les indigènes, soit Arabes, soit Kabyles, soit, ce qui est le cas habituel, mélange des uns et des autres, feront volontiers, pourvu qu’on les traite avec égard, les labeurs grossiers. Ils n’ont pas toutes les vertus, mais ils ne sont pas non plus la proie de tous les vices, comme quelques arabophobes le voudraient faire croire. On ne peut pas compter absolument sur leur assiduité; comme l’ouvrier parisien, quand ils ont travaillé quatre ou cinq jours par semaine, ils sont parfois enclins à tirer une bordée et à laisser le chantier ou la charrue. Au demeurant, ils sont de bons laboureurs, d’humeur assez docile quand on ne les violente pas; il ne faut point leur donner d’instrumens trop perfectionnés, mais ils se servent convenablement de notre araire méridionale. J’en ai vu pour 3 piastres environ par jour ou même 2 piastres 1/2, 1 fr. 80 et 1 fr. 50, labourer les vignes d’une façon satisfaisante. On doit renoncer à se servir d’eux pour les travaux plus délicats, la taille par exemple, les soufrages et les applications des insecticides ou cryptogamicides divers auxquels on est aujourd’hui obligé de recourir chaque jour. Pour ces tâches qui demandent plus d’intelligence et plus de soin, l’on a le choix entre les Italiens, d’ordinaire des Siciliens, et les Français. Les Maltais, qui sont, comme on les a heureusement appelés, des Arabes chrétiens, ne louent pas en général leur bras pour la grande culture. Ils s’adonnent aux mille métiers des villes, se font voituriers, portefaix, ou bien encore maçons, entrepreneurs de bâtisses ou même maraîchers dans les banlieues des centres importans. Le Sicilien, au contraire, le vrai voisin de la Tunisie, qui y afflue et y affluera de plus en plus, est, au-dessus de l’Arabe, le vigneron habituel. On le paie, d’ordinaire, 3 francs par jour ; il est laborieux, apprend assez vite, quand il l’ignore, la bonne culture ; parfois insoumis, mais plus rarement