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sous bien des rapports, mais ce sont les grandes et les moyennes exploitations qui seront le lot de la Tunisie pendant toute son enfance et son adolescence. La démocratie rurale s’y constituera plus tard graduellement et librement. Aujourd’hui les conditions sociales et techniques ne lui sont pas propices.

Deux types de propriétés semblent convenir aux Européens dans cette contrée : la première est la moyenne, qui peut se composer de 2 ou 300 hectares jusqu’à 7 ou 800, suivant la fécondité du sol et sa situation. A un prix qui varie entre 100 francs et 300 francs l’hectare, on acquiert un domaine de ce genre, ce qui représente 60 à 100,000 francs de prix d’achat. Mais cette terre est en général brute et nue ; il la faut défricher en partie, défoncer, y construire des bâtimens, attendre enfin les récoltes. Un capital de 160,000 à 200,000 paraît indispensable pour faire œuvre qui vaille soit comme vigneron, soit comme éleveur de bétail. Le colon de cette catégorie doit résider sur les lieux; une exploitation de cette modeste étendue ne pourrait payer des frais de régie. De jeunes Français actifs, entreprenans, durs au travail, qui s’installeraient en Tunisie dans les conditions que nous venons de dire seraient presque assurés d’y accroître singulièrement leur avoir en douze ou quinze années : l’espoir de le tripler ou de le quadrupler ne semble pas exagéré, nous ne parlons pas ici, bien entendu, d’amateurs et d’oisifs, qui regardent faire leurs ouvriers et encore seulement pendant quelques heures de la journée, et qui croient que la tâche d’un propriétaire consiste uniquement à donner quelques ordres, à chasser et à recevoir. Il faut des caractères bien trempés et énergiques, qui se considèrent comme les premiers des travailleurs du domaine. On nous assure que quelques jeunes gens, appartenant à des familles de la riche bourgeoisie parisienne, se sont déjà établis en Tunisie avec le ferme propos de mener cette vie sérieuse et à la longue lucrative.

Le second type de propriété tunisienne, c’est la très grande, celle qui s’étend sur au moins 1 millier d’hectares et le plus souvent sur 3, 4, 5, 8 ou 10,000 hectares. Il y faut d’énormes capitaux; 1 million, 12 ou 1,500,000 francs. Pendant plusieurs années, quatre ou cinq au moins, ces très grandes dépenses ne rapportent aucun revenu. L’heure de la récolte sonne plus tard, mais celle-ci peut être très abondante. Il est désirable, presque indispensable, que ces capitaux appartiennent en propre à ceux qui en disposent : faire intervenir le crédit, du moins avant d’avoir obtenu des revenus considérables, dans une œuvre de colonisation, c’est courir à une ruine presque assurée. Quelle folie, d’ailleurs, d’emprunter pour faire des vignes ! Quelle témérité à la fois de la part de l’emprunteur