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Le défrichement fait à forfait coûte 100 à 200 francs par hectare. Dans ces derniers temps, le prix de la terre s’est notablement accru. Les grands domaines incultes et mal situés ne se vendent guère moins de 80 à 100 francs l’hectare, et les lots convenablement assortis, situés près des voies de communication, peuvent prétendre à 200 ou 250 francs, sinon davantage.

Deux sortes d’exploitation surtout ont attiré l’attention des capitalistes européens : d’une part, l’élève des bestiaux et de l’autre la culture de la vigne. Les propriétaires qui n’ont que des capitaux restreints, qui craignent de les aventurer et qui se contentent de perspectives bornées, se mettent à produire du bétail. On peut, dans ce cas, laisser la terre presque inculte, n’en défricher qu’une faible partie : l’on n’a besoin ni de beaucoup de bâtimens, ni de beaucoup de main-d’œuvre ; on assure que ceux qui se sont livrés à cette industrie en ont retiré dans ces derniers temps un intérêt d’au moins 12 à 15 pour 100 de leurs capitaux. Peut-être la baisse notable du prix de la viande sur les marchés européens rendra-t-elle moins rémunérateur à l’avenir ce mode de tirer parti du sol ; mais on peut espérer que la dépréciation toute récente du bétail tient en partie à des causes occasionnelles et temporaires. Pour l’éleveur tunisien, en temps normal, les risques sont faibles et le profit est presque assuré. Dans la région montagneuse, notamment aux environs de Mateur et de Téboursouk, on affirme qu’il s’est fait ainsi dans les mains de Français ou d’Anglais des fortunes notables.

La grande séduction, toutefois, reste la vigne. Cette plante, comme le jus qu’on en tire, a le don d’échauffer les cerveaux, de mettre les esprits en bonne humeur et de leur faire entrevoir l’avenir sous les couleurs les plus riantes. Que de fois depuis quinze ans que je cause de la vigne avec des propriétaires ou des vignerons méridionaux, puis avec des planteurs africains, ai-je constaté combien cette enchanteresse sait prendre possession des imaginations des hommes les plus positifs ! Moi-même j’ai cédé à son attrait et, au moment où j’écris ces lignes, je suis sous le charme des promesses de cette merveilleuse culture. Celui qui plante la vigne entrevoit la fortune certaine à brève échéance. Aucune déception, aucune expérience, ne parvient à refroidir son zèle : ni le phylloxéra, ni l’anthracnose, ni le mildew, ni le black-rot, ni le cortège désormais innombrable des ennemis de la vigne, ne fait impression sur son esprit. Qu’était le pot au fait de La Fontaine à côté de quelques ceps de vignes ? Il n’est pas de vigneron qui n’ait la tête de Perrette. Parlez à un planteur de vignes d’un revenu de 10, 12 ou 15 pour 100 du capital qu’ilengage, il lèvera les épaules, et