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que la Catalogne recouvrera son indépendance et son autonomie par les bienfaits de cette franc-maçonnerie sans rites, non sans convoitises, connue sous le nom cosmopolite d’Internationale. Au prix d’une crise formidable, ils achèteraient volontiers la satisfaction de voir leur rêve réalisé n’importe comment. Les utopies socialistes et communistes ont fait beaucoup de chemin et beaucoup de mal parmi les classes ouvrières de la Catalogne, tandis que la plupart des populations rurales sont arriérées de trois siècles, et toujours prêtes à soutenir la réaction carliste. On sait le rôle qu’elles ont joué dans les guerres civiles de ce siècle, sous la double influence du fanatisme royaliste et religieux.

Ces dissentimens entre catalanistes font la partie belle aux Catalans qui ne rougissent point de se reconnaître Espagnols, sans se croire tenus de professer une sainte horreur pour les lions et les tours de Castille. Tout en aimant très fort la Catalogne, ils ne donnent pas dans la manie d’évoquer à tout propos les aventures militaires des anciens comtes-rois et les barres sanglantes d’Aragon. Il en est même qui ne craignent point de confesser que le retour au moyen âge ne serait pas précisément le retour à la liberté et au progrès; avec raison, car le conseil tant vanté des Cent, dont on rappelle sans cesse le souvenir, était une assemblée bourgeoise dont l’esprit mercantile ne se tournait pas naturellement vers la démocratie. Parmi ces sénateurs marchands, commerçans. armateurs, qui ne voyaient rien au-delà de Barcelone, représentans d’une oligarchie jalouse, privilégiée, intolérante, hostile à l’étranger, pas un seul n’eut l’âme d’un de ces prévôts des marchands des grandes villes de France ou des Flandres qui, sans sortir de l’enceinte de leurs communes, préparaient un état de choses qu’ils ne devaient pas voir. Rien de plus étroit que cette politique de clocher, qui a tant contribué à l’isolement de la Catalogne après son annexion à l’Espagne. Peut-être que l’unité catalane aurait une autre valeur si le peuple, qui n’était rien, avait compté pour quelque chose. Eclairé sur ses droits et sur ses devoirs, mis hors de tutelle, émancipé en un mot et devenu majeur, il ne serait pas aujourd’hui l’espoir de la réaction et de l’anarchie, auxquelles il a tour à tour donné des arrhes, et l’épouvantail des esprits pacifiques et modérés qui l’ont vu à l’œuvre les jours d’émeute et aux mauvais temps de la guerre civile. On connaît les prouesses du couteau catalan et les exploits des miquelets. Tous les chefs de bande qui ont terrorisé la Catalogne en pleine paix n’avaient pas la noblesse chevaleresque de ce Roque Guinart, immortalisé par Cervantes comme un capitaine de brigands généreux et gentilhomme.

Ce n’est pas sans motif que les hommes prévoyans d’un pays si divisé s’inquiètent des mauvais fermons qui travaillent la masse