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lui donner des leçons de goût ; mais il pouvait lui apprendre à respecter sa langue. Les puristes catalans ne sont pas trop sévères en reprochant au plus illustre des poètes catalans, au plus populaire surtout, d’avoir faussé l’instrument sur lequel il chantait avec plus de verve que de moralité. Ils lui passeraient ses grivoiseries si le vocabulaire et la syntaxe du spirituel recteur ne se ressentaient beaucoup trop de son long séjour en Castille. Il faut ajouter, comme circonstance atténuante, que, depuis la renaissance littéraire, la sévérité des lois de la versification provençale, dont un troubadour Catalan, Ramon Vidal de Besalu, a compilé le code, avait cédé aux libertés de la poésie italienne et castillane, qui tendaient à substituer l’à-peu-près de l’assonance aux rigoureuses exigences de la rime. On ne saurait trop insister sur les suites fâcheuses de ces licences qui ont ouvert l’arène poétique à des milliers d’improvisateurs vulgaires. La mémoire du curé de Vallfogona a été glorifiée et réhabilitée par un romancier catalan contemporain, M. Joseph Feliu et Codina, auteur correct et intéressant de quelques récits populaires sur des sujets nationaux.


III. — LE MOUVEMENT LITTERAIRE CONTEMPORAIN.

Si l’Espagne possédait une histoire littéraire, comme la France et l’Italie, l’histoire de la littérature espagnole n’en serait pas encore à la période des essais. Cette tâche, aussi ardue que belle, demande mieux que des bibliographes comme le patient et judicieux Ticknor, ou des professeurs voués à la rhétorique, comme le laborieux déclamateur Amador de les Rios, dont la pesante exposition s’arrête à la renaissance. Dans l’espèce, la bibliographie ne sert qu’à préparer le travail de l’historien, qui ne consiste point à dresser un catalogue ou à classer des manuscrits. Les bibliothécaires et les paléographes de profession peuvent bien amasser des matériaux pour l’histoire, mais ils savent rarement l’écrire. Les érudits qui ne sont qu’érudits se condamnent au rôle utile, mais subalterne, de maçons. Les lettres catalanes comptent un certain nombre de compilateurs dont les travaux confus de bibliographie, de biographie et d’histoire littéraire, auraient grand besoin d’être débrouillés par un savant littérateur. La Catalogne proprement dite doit beaucoup à l’honnête compilation du bon évêque Torres Amat (1836), continuée avec plus de zèle que de succès par le chanoine Corminas (1849). Ces doux recueils rendent inutiles les maigres essais de Ballot et de Salat. Valence est riche et justement fière des travaux de trois graphes et bibliographes d’un vrai mérite : Rodriguez, Ximeno et Fuster. Ce dernier, qui était relieur de profession, n’est pas le moins savant des trois. Ce diligent compilateur aimait par-dessus