Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin? Rien n’est moins certain, malgré de récentes recherches et une longue tradition légendaire. Il n’est point démontré que le manuscrit de la Bibliothèque nationale, qui porte le titre de « Testament de maître Ramon Lull, » un vrai grimoire, qu’on prendrait à le voir pour un livre de magie à l’usage de quelque sorcier, soit réellement authentique. On y trouve en entier la pièce de vers sur l’alchimie dont le diligent éditeur des rimes de Ramon Lull n’a pu donner qu’un fragment, d’après un manuscrit de Majorque, évidemment incomplet. Rude est la tâche de remettre en lumière les nombreux écrits d’un auteur extrêmement fécond, pour lequel les bons textes manquent, et dont les éditions partielles, devenues très rares, ont subi des retouches et des remaniemens qui, sous prétexte de rajeunir la langue, l’ont misérablement dénaturée. La restitution des œuvres authentiques d’un auteur si peu connu fera connaître beaucoup de documens, qui permettront sans doute aux futurs biographes de démolir l’incohérente légende lullienne et d’écrire enfin la vie de ce docteur illuminé, autodidacte et laïque.

Les érudits catalans feraient œuvre méritoire si l’exemple des Palmésans leur donnait envie de mettre en relief la figure originale d’Arnauld de Villeneuve, non moins maltraité que Ramon Lull par les historiens de la médecine et de l’alchimie, dont quelques-uns, sans les connaître, les ont qualifiés de charlatans, injure gratuite. Il semble que des hérétiques, ou tout au moins des hétérodoxes, devraient être jugés avec un peu plus d’équité. Persécutés durant leur vie et après leur mort, ils subissent encore aujourd’hui le contre-coup des rancunes religieuses. Le fanatisme inquiet du trop fameux inquisiteur catalan, Nicolas Aymerich, n’épargnait ni les vivans, ni les morts. Novateur illustre en chimie et en médecine, Arnaud de Villeneuve eut pour cliens des rois et des papes. Il fut, dit-on, le médecin ordinaire de Pierre III d’Aragon. Pierre IV, nommé le Cérémonieux à cause de ce code singulier qu’il se plut à rédiger lui-même avec le soin méticuleux qu’il mettait à toutes choses et par lequel il régla minutieusement le service quotidien et extraordinaire de la maison royale en assignant à chaque officier du palais son rang, ses attributions et son salaire, fut aussi un lettré. Il n’oublie rien ni personne, dans ce catéchisme de l’étiquette, traitant du sacre et des cérémonies solennelles de la cour avec une gravité qui ne se dément point lorsqu’il descend jusqu’aux plus infimes détails de l’office, de la cuisine et de l’écurie. Il ne se peut rien de plus curieux, de plus intéressant, de plus amusant pour les amateurs d’antiquailles. Au lieu d’évoquer sottement le passé dans des romans pédantesques, les Walter Scott de la Catalogne