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latine, mais en prétendant qu’il tenait ses traits distinctifs, sa physionomie et ses allures des populations indigènes lors de la conquête romaine. C’est remonter un peu bien loin dans l’histoire d’une époque assez mal connue, particulièrement au point de vue du langage.

En admettant la vraisemblance du paradoxe, il faudrait encore tenir compte des invasions barbares, des nombreuses alluvions des peuplades du Nord qui renouvelèrent les couches de la population, s’il est vrai que l’expression géographique qui a prévalu dérive des Goths et des Alains (d’où Gothalanie, Catalaunia, Catalogne, et plus simplement Gothland). À ce compte, la langue catalane devrait ressembler à ses voisines d’au-delà des Pyrénées, tandis qu’elle ressemble plutôt à celles d’en-deçà : ressemblance dont la signification est assez claire ; car l’analogie dépasse de beaucoup ce qu’on a coutume d’appeler un air de famille. Ce qui semble prouver qu’il y a proche parenté, c’est que le paysan de la frontière catalane entend plus aisément les patois français du midi que le castillan de ses voisins les Aragonais. Aussi voit-on les habitans de la frontière méridionale de la France s’entendre peu ou prou avec les Catalans, tandis que l’entente est bien plus difficile avec leurs plus proches voisins de l’Aragon et de la Navarre, qui parlent à leur manière la langue castillane. Si les patois doivent servir à quelque chose, c’est surtout à élucider les obscures questions d’origine, de généalogie, de parenté des langues congénères, qu’on ne doit pas englober dans une sorte de confusion commode à l’ignorance : tel a confondu l’auvergnat avec l’espagnol. A défaut du sentiment délicat des nuances, il est bon d’avoir le sens des couleurs, heureusement moins rare. Bien qu’issues d’un tronc commun, les langues romanes présentent de telles différences, qu’il faut les apprendre pour les connaître, malgré l’avis des amateurs qui se persuadent qu’avec un peu de latin et la pratique d’un patois quelconque, ils n’ont qu’à vouloir pour savoir l’italien, le portugais, le castillan, le catalan. Qui posséderait à fond le français classique, en y comprenant même la langue du XVIe siècle, se trouverait fort empêché d’entendre un texte du moyen âge en roman d’oïl ou d’oc ; de même que le Grec moderne qui croirait avoir la clé d’Homère et de Sophocle, d’Hérodote et de Démosthène, avec ce jargon vulgairement dit romaïque, aussi éloigné de l’ancienne langue que les patois le sont des dialectes disparus. L’usage de ces patois si divers peut bien rapprocher ceux qui les parlent, malgré la distance des lieux : à la rigueur un habitant de Périgueux ou de Tulle pourra s’entendre avec un Toulousain ou un Marseillais ; en d’autres termes, Limousins, Gascons, Languedociens, Provençaux se reconnaîtront en leur parler,