Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fisc, qu’accompagne un cortège inévitable d’espionnage et de délation, si contraires aux principes libéraux. Qu’est-ce, si l’on se trouve en face, — non pas seulement de déclarations incomplètes qui constituent pour l’état une sorte de banqueroute partielle de l’impôt, — mais d’un véritable exode qui tend à en tarir la source même?

Non n’hésitons pas à le dire : de tels impôts mériteraient plutôt le nom d’antidémocratiques, s’il s’agissait d’une démocratie de raison, de vérité et de liberté, travaillant à assurer à tous le fair play, en même temps qu’à réduire les dépenses et à rendre moins lourds les impôts existans. Encore vaudrait-il mieux les augmenter que de recourir à de pareilles combinaisons.

M. Léon Say examine une autre base d’impôt proposée par la démocratie avancée, et qui est déjà impliquée d’ailleurs dans l’idée de la progression : c’est la distinction du superflu et du nécessaire. Nulle base n’est moins scientifique. La ligne de démarcation entre le nécessaire et le superflu est infiniment délicate. Le nécessaire et le superflu s’enchevêtrent perpétuellement dans notre vie civilisée. Nos ouvriers ont aussi leur part de superflu, et on peut se faire une idée de ce qu’ils diraient si on prétendait leur rendre inaccessibles par l’impôt le tabac, l’alcool, et bien d’autres superflus plus inoffensifs. Prendre aux riches le superflu, c’est tout simplement la confiscation, l’anéantissement de la richesse elle-même, c’est la plus odieuse tyrannie sur la production et la consommation. Au point de vue des classes populaires, c’est la suppression de plus de la moitié des industries. Établir un système d’impôt échelonné sur tous les degrés du superflu, c’est, eût-on en vue, non de le supprimer, mais de le restreindre en le tolérant, la plus impraticable des conceptions. Disons pourtant que l’on nous paraît aller un peu trop loin dans la proscription de cette distinction même et de tout usage à en tirer pour l’impôt. De même qu’il y a des dépenses frivoles et d’autres qui ne le sont pas, des dépenses qui reposent sur des plaisirs facultatifs et d’autres sur des satisfactions indispensables, de même il y a un superflu relatif qu’atteignent dans une certaine mesure les législations fiscales. Je ne sais, par exemple, si M. Léon Say, étant ministre des finances, a eu la pensée d’abolir la taxe sur les billards et sur les cercles ; mais je n’ose le blâmer de ne l’avoir pas fait. On n’est pas choqué de voir imposer un billard comme on le serait de voir imposer un établi de menuisier. L’impôt distingue entre les chevaux qu’il a soumis à la taxe. Est-ce à tort? Et n’y aurait-il pas quelque subtilité de la part des propriétaires à soutenir que c’est entrer dans les questions de personnes ? Rien d’injuste à ce que le cheval destiné