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contre l’ancien régime. — Deux remarques décisives subsistent néanmoins : la première, c’est que, du moment qu’il arrive à l’état de se jeter dans des dépenses en dehors de sa sphère, il marche à la ruine. C’est ce qui arriverait s’il prétendait s’emparer de la plupart des travaux. L’autre observation, c’est que tout impôt coûte à percevoir, — et je ne mets pas seulement dans ce coût l’argent dépensé, mais les agens dont la force productive aurait reçu un autre emploi. Ce n’est assurément pas une raison pour ne pas établir des impôts, mais c’en est une pour ne pas en établir de mauvais qui ont justement pour résultat d’empêcher la formation de la richesse et de décourager le capital. C’est le tort précisément des taxes progressives, dont j’ai montré l’injustice et l’arbitraire au point de vue des principes. Lorsque la taxe frappe avec rigueur au-delà d’un certain taux de fortune, c’est ôter l’envie d’atteindre à ce niveau. C’est à l’activité humaine, à la prévoyance, à l’industrie, à l’esprit d’entreprise, qu’on vient dire : « Tu n’iras pas au-delà ! » Tels sont les effets de cet impôt établi en vue de favoriser la masse. Il commence par ravir aux possesseurs d’un capital ou d’un revenu un fonds qui serait allé aux salaires. Il porte un préjudice plus grave aux forces productives elles-mêmes. Si la masse populaire vit sur le capital, le capital vit de sécurité et de liberté. Le progrès de la richesse publique profitable à tous est à ce prix. Peut-être pourrait-on soutenir, au fond avec assez peu de raison pourtant, qu’un impôt qui permettrait de s’élever jusqu’à 50,000 ou 100,000 francs de revenu, ne découragerait pas l’envie de s’enrichir. Il resterait toujours à savoir comment, avec un pareil maximum, il y aurait place pour la grande industrie, la grande banque, les fortunes élevées, nécessaires pour porter plus haut le niveau de l’industrie et de la civilisation. A cet argument la démocratie la plus avancée répond par des déclamations contre la féodalité industrielle et par la substitution de l’état aux particuliers pour l’encouragement des arts. Mais cette exorbitante prétention échouerait toujours par le seul fait qu’il y aurait de grandes nations voisines développant librement leur puissance d’accumulation. Les défenseurs de ces systèmes raisonnent un peu trop comme si l’état qu’ils rêvent était entouré d’une muraille de la Chine, ou comme s’ils pouvaient, à l’imitation de Platon, décréter une république sans rapports avec l’étranger; qu’ils abolissent donc aussi le commerce. — Cet oubli a encore un autre inconvénient qui s’est fort accru avec la facilité des communications et l’extension du crédit, c’est le retrait des capitaux. On peut déjà se convaincre par la plupart des impôts existans dans plusieurs pays, qu’ils se dissimulent en grande partie aux perquisitions du