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marquée de l’impôt à l’arbitraire. M. Léon Say cherche ce signe dans la distinction entre l’impôt personnel et l’impôt réel. Non-seulement il appartient à l’école qui préfère l’impôt assis sur les choses, à celui qui vise les personnes, mais il fait de cette distinction une sorte de fil conducteur, ou, pour mieux dire, un critérium. Il y a, en effet, tout lieu de penser que des taxes qui prétendent atteindre des individus ou des classes en raison de leur situation, dont le législateur se fait juge, sont infiniment plus susceptibles d’arbitraire que des taxes sur des biens ou sur des revenus sans considération des personnes. En ce dernier cas, la base matérielle est évaluable en elle-même ; elle se dérobe par là aux appréciations qui peuvent résulter d’une pensée extérieure en quelque sorte à la contribution ; elle reste indépendante des mobiles passionnés et des calculs purement politiques, favorables aux uns, contraires aux autres. C’est ainsi que dans l’ancien régime, sans qu’il soit possible de trouver la justice suffisamment dans la taille réelle, la taille personnelle, qui avait égard au rang, était beaucoup plus inique et plus odieuse. L’impôt, sous presque toutes les formes, était assis et perçu de façon à ménager les uns et à réserver pour les autres ses exactions et ses rigueurs.

Que faisait alors, je ne dirai pas la démocratie, — elle n’existait ni de nom ni de fait, — mais que faisaient ceux qui se portaient pour les organes des griefs populaires? Ils voulaient faire prévaloir la base réelle. L’impôt personnel était l’ennemi. Il a été vaincu, en très grande partie du moins, avec les privilégiés. Les taillables et les corvéables ont eu leur jour de triomphe. Eh bien! dans plus d’un système radical, il s’agit simplement de reporter sur d’autres classes la taille, la dîme et la corvée. Nous n’aurons garde, d’ailleurs, en insistant sur l’arbitraire inhérent à certains projets, de confondre ceux qui s’arrêtent en chemin et ceux qui entendent bien aller jusqu’au bout. Mais, quel que soit le degré, l’arbitraire est le juste et capital reproche qu’on adresse à tous les systèmes d’impôts sur le revenu à échelle progressive qui visent des personnes et des situations. Où commence le taux progressif de l’impôt et où finit-il ? On n’a rien répondu de solide à cette fin de non-recevoir. On aura beau faire : tout impôt du revenu établi sur des catégories où les considérations de classes modifient la proportion ouvre à l’arbitraire une carrière inévitable. Quant à l’impôt franchement progressif, c’est un coin enfoncé dans la propriété ; il y reste, toujours prêt à élargir l’entaille sous la main qui l’y a fait pénétrer. On déclare aujourd’hui que celui qui a un revenu de 10,000 francs paiera 5 pour 100 ; que celui qui en a 20,000 ou 30,000, paiera 15 et ainsi de suite, en élevant le chiffre de progression