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de sentiment, devenait pour elle une question d’honneur, une nécessité politique et stratégique. La ville éternelle acquérait à ses yeux un nouveau prestige, plus que jamais elle prenait l’attrait du fruit défendu. Quelles que fussent désormais la conciliation de Napoléon III et la prudence de Victor-Emmanuel, l’heure devait arriver fatalement où l’Italie, au mépris de ses engagemens et des droits imprescriptibles de la reconnaissance, dès le premier heurt entre la France et l’Allemagne, se jetterait sur Rome.

La politique a d’affligeans retours, elle relève ceux qu’elle a justement renversés, elle se détourne de ceux qui l’ont bien servie ; si elle ne déconcerte pas les philosophes, elle déroute et contriste les patriotes. M. Rattazzi, qui, par ses fautes, avait mis l’Italie à deux doigts de sa perte, reparaissait sur la scène parlementaire la tête haute, comme un triomphateur. D’accusé, il devenait accusateur, il s’attaquait au ministère qui avait eu le courage de se charger de sa désastreuse liquidation ; il s’en prenait à tout le monde, excepté à lui-même, pour justifier ses fautes et ses perfidies. Il se retournait surtout contre la France, il taxait d’odieux le langage de M. de Moustier et de M. Rouher, qui s’étaient permis, preuves en mains, de révéler et de flétrir ses connivences avec la révolution. Il sommait le gouvernement de protester contre les paroles outrageantes qui, à la tribune française, prétendait-il, avaient été proférées contre l’Italie et son roi.

Le général Menabrea n’avait pas attendu la mise en demeure de M. Rattazzi pour demander des explications au cabinet des Tuileries. « Déjà, disait-il, le gouvernement du roi a reçu du gouvernement impérial l’assurance qu’il tenait sur toutes choses au rétablissement de ses bons rapports avec l’Italie. » C’était dire d’une façon polie, mais triomphante, que la politique française battait en retraite. La modération avait, en effet, repris le dessus à Paris. La volonté de l’empereur avait prévalu ; il n’était plus question de défaire l’Italie ; on s’efforçait au contraire de se réconcilier avec elle et de lui faire oublier d’imprudentes, mais de fières paroles. M. Rouher faisait les frais de la réconciliation, il était désavoué sans l’être ; on disait qu’on s’était mépris sur le sens de son discours, que le jamais n’avait pas la portée qu’on lui prêtait, que la France n’entendait pas s’opposer à l’expansion nationale et légitime de l’Italie ; qu’elle entendait uniquement s’opposer au renouvellement d’une invasion violente des états romains.

Ces explications ne suffisaient pas au gouvernement italien ; il réclamait un désaveu formel, écrit. M. de Malaret réagissait contre ces prétentions, il les tenait pour inadmissibles ; il trouvait qu’un désaveu officiel serait un acte de faiblesse qui, loin de nous ramener