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était, du reste, pris à partie à Florence plus encore qu’à Paris; les gouvernemens sont toujours tentés, au lendemain de grandes commotions, d’endosser à leurs interprètes les fautes qu’ils n’ont pas su éviter. En France, on prétendait que M. Nigra, dans la précipitation de ses allées et venues pendant la crise, s’était mépris sur la portée des paroles échangées ; en Italie, on disait qu’il n’avait su ni prévoir ni conjurer l’intervention ; on lui reprochait d’avoir donné une portée officielle à des conversations officieuses, en traitant derrière le dos de M. de Moustier avec M. Rouher, dont les assurances avaient été démenties par l’événement. M. Rattazzi et ses amis affirmaient que M. Nigra les avait induits en erreur, par sa diplomatie en partie double, sur la pensée prédominante dans les conseils de l’empereur; ils réclamaient son rappel. — Le reproche était excessif, car à Florence M. de Malaret ne se faisait pas faute de négocier directement avec M. Rattazzi, sans tenir compte de M. Campello, le ministre des affaires étrangères. Les diplomates vont toujours chercher l’influence déterminante là où ils croient la trouver. k Paris, souvent ils ne faisaient que traverser le cabinet du quai d’Orsay, pour arriver plus vite dans celui du ministre d’état. C’est aux gouvernemens auprès desquels ils sont accrédités de ne pas leur permettre d’enfreindre les usages internationaux. Ils avaient beau jeu à la cour des Tuileries ; ils pénétraient partout, dans le cabinet du souverain, dans les bureaux de tous les ministères, ils pactisaient avec les adversaires du gouvernement, ils avaient des intelligences dans les journaux, et ce qu’ils n’apprenaient pas dans les sphères officielles leur était révélé dans les salons, où, par étourderie, si ce n’est par vanité, on se laisse aller, devant des étrangers, à de regrettables indiscrétions. Ils avaient d’ailleurs à leur service des personnages interlopes qui. sous le masque français, s’infiltraient dans notre intimité et s’ingéraient dans nos affaires. L’éparpillement de notre action diplomatique et le contact familier incessant de l’empereur avec les représentans des puissances étrangères ont eu pour notre politique les conséquences les plus désastreuses; ils lui ont donné le caractère de l’indécision et de la contradiction ; ils ont singulièrement facilité le jeu à nos adversaires.

« Non, la diplomatie n’est pas toujours une science de ruse et de duplicité, s’écriait le prince de Talleyrand, à la veille de sa mort, devant l’Académie des sciences morales, en faisant l’éloge du comte Reinhardt, un ancien serviteur du ministère des affaires étrangères. Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c’est surtout dans les transactions politiques. On a voulu confondre la ruse avec la réserve, ajoutait-il, plus préoccupé peut-être de sa propre mémoire que de celle du confrère dont il retraçait les mérites. La bonne foi n’autorise jamais la ruse, mais elle autorise la réserve, et