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des transformations qui s’opéraient à ses portes, n’aurait plus dorénavant qu’à se consacrer, avec une absolue quiétude, au développement de sa prospérité intérieure. Mais l’empereur, malgré la confiance qu’il affectait et les argumens qu’il invoquait pour rassurer le pays, partageait au fond les émotions que manifestait le sentiment public, si bien qu’il en arrivait à conclure que les gages incontestables de concorde résultant des entrevues des souverains à Paris « ne sauraient dispenser la France d’améliorer sa constitution militaire et de perfectionner l’organisation de son armée et de sa marine. » Le roi Guillaume et Napoléon III avaient beau affirmer la paix, ils n’en étaient pas moins contraints à préparer la guerre.

Le comte Benedetti avait repris possession de son ambassade dans les premiers jours de novembre, après une longue absence. Il n’avait, cette fois, ni à revendiquer le Palatinat, ni à poursuivre la cession du Luxembourg; sa tâche se bornait à fortifier M. de Bismarck dans ses bonnes dispositions et à obtenir son acquiescement à la conférence. On était loin de pressentir à Paris les objections que notre invitation allait soulever dans la plupart des cours[1]. On se fondait sur l’accueil courtois fait à nos premières ouvertures pour considérer comme acquise l’adhésion de l’Angleterre, de l’Autriche, de

  1. Dépêche d’Allemagne. 12 novembre 1867. — « Il serait difficile de pressentir exactement la réponse que le cabinet de Berlin fera à notre invitation. Ses journaux ne se sont pas montrés jusqu’ici fort sympathiques à l’idée d’une conférence, et le langage qu’ils persistent à tenir autorise à croire que notre démarche embarrasse le gouvernement prussien. Il lui en coûte évidemment de sortir de la réserve dans laquelle il s’est retranché dès l’envahissement du territoire pontifical. Il ne saurait s’exposer cependant à abandonner à la Bavière, si elle devait répondre à notre appel, le privilège de plaider la cause des catholiques allemands au sein du congrès. Il est difficile aussi de croire qu’il ne soit pas impressionné par le pétitionnement en faveur du pape, qui semble tout à coup vouloir se généraliser. Les journaux de ce matin nous apprennent en effet qu’une grande manifestation catholique vient d’avoir lieu à Cologne; des orateurs ont proposé, devant une nombreuse assemblée populaire, de demander au roi, par voie de pétitionnement, de sauvegarder les droits de ses 10 millions de sujets catholiques; une adresse suppliant Sa Majesté d’appuyer de son influence la liberté et l’indépendance du trône pontifical a été adoptée à l’unanimité: il a été arrêté aussi qu’on ferait signer cette adresse par toute la population catholique des provinces rhénanes avec l’espoir que l’exemple serait suivi dans toute l’Allemagne. Le gouvernement prussien, toujours si soucieux d’éviter toute contestation avec ses sujets catholiques, ne saurait rester indiffèrent devant de pareilles manifestations. Mais il est probable qu’avant de se prononcer il cherchera à se concerter avec le cabinet anglais et le cabinet de Saint-Pétersbourg et à connaître la réponse qu’ils comptent faire à nos ouvertures. M. de Bismarck, si je suis bien renseigné, n’admettrait pas, dans les instructions, très bienveillantes, d’ailleurs, pour les intérêts du saint-père, qu’il a adressées à ses agens, une connexité indissoluble entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, et n’ayant pas à s’ingérer dans les négociations ouvertes entre la France et l’Italie, il serait décidé à ne faire, en ce qui le concerne, aucune démarche en faveur de la consolidation de la souveraineté territoriale de la cour de Rome.