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personnels du prince royal, qui défendait à la cour de son père non pas la cause de Garibaldi assurément, mais celle d’une alliée éventuelle. Rappelés à une attitude plus circonspecte, ils avaient, du reste, promptement modifié leur langage. Le comte de Bismarck n’avait aucune envie de sortir d’une stricte réserve : l’Italie, à cette heure, n’entrait qu’indirectement dans l’échiquier de sa politique. Il se méfiait d’ailleurs du roi Victor-Emmanuel et des hommes d’état italiens. Quelle sécurité pouvait lui offrir une puissance qui méconnaissait ses engagemens dès qu’ils l’incommodaient? L’Italie n’avait-elle pas, sous le prétexte de satisfaire ses aspirations nationales, violé coup sur coup le traité de Zurich et la convention de septembre? M. de Bismarck ne se souciait pas, pour complaire à une alliée si peu sûre, de s’aliéner les catholiques allemands ; il se préoccupait des quatre-vingts députés qu’ils comptaient au Reichstag; il semblait pressentir ce qu’il en coûte de rompre avec l’église. Son jeu n’était pas de nous inquiéter, ni de prendre couleur dans la question romaine; laisser se développer l’antagonisme entre la France et l’Italie et s’envenimer les blessures était à ses yeux un moyen infaillible d’empêcher tout retour à l’alliance de 1859. Il nous confiait que les Italiens étaient venus solliciter son assistance, qu’il les avait éconduits en leur disant que la France était légitimement fondée à protéger le pape, et qu’il se garderait bien de se brouiller avec une puissance avec laquelle il entretenait d’excellens rapports. Il n’aurait pas caché d’ailleurs au chargé d’affaires du cabinet de Florence, lorsqu’il lui annonçait l’entrée de l’armée italienne sur le territoire du saint-siège, combien cette résolution était téméraire ; il l’aurait invité à recommander instamment à son gouvernement d’éviter avec le plus grand soin toute rencontre avec l’armée française. Ses paroles dénotaient une résolution nettement arrêtée de ne pas s’engager dans les affaires romaines. Le ton de la presse officieuse reflétait fidèlement sa pensée; elle restait correcte, comme si elle obéissait à la consigne d’éviter toute polémique irritante. L’attitude du chancelier était d’autant plus méritoire que plusieurs de nos journaux, toujours disposés à subordonner l’intérêt français à l’intérêt italien, faisaient un crime à l’empereur de secourir le pape et se plaisaient à jeter le trouble dans ses conseils en tenant l’intervention prussienne pour inévitable. Mais ni ces incitations, ni les sollicitations venues de Florence, ne parvenaient à émouvoir le conseiller du roi Guillaume. Il restait tout aussi insensible aux suggestions de l’Angleterre, dont la diplomatie s’était compromise dans menées garibaldiennes. Lord Stanley lui proposait en vain une intervention morale, ou, comme il l’appelait « une pression protestante. »