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qui s’occupent de savoir comment le prédicateur a parlé, « qui le comparent avec lui-même et avec les autres, et le premier discours avec les suivans,.. comme si la chaire était un théâtre où l’on monte pour disputer le prix du bien dire; » et c’est sur le mépris, enfin, de toute rhétorique ou de toute éloquence que Pascal ose fonder la sienne. C’est encore pourquoi, cherchez dans les Mémoires et les Correspondances du temps, vous n’en trouverez pas un d’eux qui hante les salons à la mode. Et comment d’ailleurs y fréquenteraient-ils, si c’est là qu’ils ont leurs adversaires et leurs ennemis, si c’est dans les salons que l’on reproche à Molière la crudité de ses peintures ou à Racine la vérité des siennes? Elle-même, l’aimable marquise, Mme de Sévigné, n’est-elle pas bien suspecte de préférer Nicole à Pascal? et elle admire sans doute l’éloquence de Bossuet, mais combien plus encore celle de Mascaron ou celle de Fléchier ! Et malgré la cour, malgré Louis XIV et sa protection déclarée, la lutte continue jusqu’à ce que, Pascal et Molière étant morts, Bossuet ayant cessé de prêcher et Racine d’écrire, Boileau s’étant retiré dans une solitude chagrine et maussade, femmes et salons reprennent leur empire. C’est pour elles et grâce à elles que les Pradon et les Boyer renaissent, les Perrin et les Coras, pour elles que les Pavillon et les Sainte-Aulaire tournent des madrigaux, d’ailleurs aussi vifs qu’élégans, pour elles que Fontenelle écrit sa Pluralité des mondes, pour elles que prêche Massillon. La marquise de Lambert fait revivre les traditions de l’hôtel de Rambouillet. La duchesse du Maine les exagère, avec ce goût de l’excessif qui la caractérise, d’autres viennent à leur suite, un nouveau siècle commence, et le mouvement, un instant suspendu, reprend son cours de plus belle.

Car jamais, on le sait, le pouvoir des femmes n’a été plus grand qu’au XVIIIe siècle, et jusqu’aux approches de la révolution. C’est alors qu’elles sont véritablement reines, maîtresses et arbitres du goût et de l’opinion. Leurs courtisans, ou plutôt leurs sujets, s’appellent maintenant Chaulieu, Lamotte, Sacy, Mairan, Moncrif, Marivaux, Trublet, Montesquieu lui-même, et, comme au beau temps des précieuses, ils remplissent l’Académie française. Pourquoi l’histoire et la critique changent-elles donc ici de ton? Les salons du XVIIIe siècle, que n’en a-t-on pas dit ! sur quel mode ne les a-t-on pas célébrés! quelle place ne leur a-t-on pas donnée dans l’histoire de la littérature française! Mais, d’un bout à l’autre du siècle, a-t-on bien fait attention quels écrivains les fréquentent, et comme les vraiment grands, ou plutôt les seuls grands y sont rares? Voltaire peut-être s’y fut attardé, quoique pourtant je ne l’aie jamais vu chez Mme de Lambert ou chez Mme de Tencin, mais, après en avoir respiré l’atmosphère avec délices, les circonstances l’en détournèrent, et c’est de là, le point vaut bien la peine d’être noté, que sa véritable influence a daté sur ses contemporains. On rencontre aussi