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écrivait alors M. Larkin, ancien consul des États-Unis, nombre d’hommes qui, au mois de juin, n’avaient pas 100 piastres et qui en possèdent aujourd’hui de 5 à 20,000, gagnées en ramassant l’or et en trafiquant avec les mineurs. Il y en a qui ont réalisé bien davantage. Cent piastres par jour sont estimées le résultat moyen du travail quotidien ; mais peu de mineurs peuvent travailler plus d’un mois de suite, à cause des fatigues et des privations qu’ils endurent. »

La vie était rude, en effet, et les dépenses énormes. Groupés par camps, afin de pouvoir mieux résister aux agressions des Indiens, les mineurs vivaient sous la tente, le plus souvent deux ou trois ensemble, associés, se partageant le travail, chacun à tour de rôle se chargeant de la cuisine. Une marmite, une poêle à frire, une cafetière et un gril pour tous ustensiles de ménage; pour lit, des feuilles sèches ou de la paille ; pour tout luxe, des carabines et des revolvers soigneusement entretenus, toujours en bon état de service. Au centre du camp formé par l’agglomération des tentes, une tente plus vaste, celle du storekeeper, ou détaillant. Son assortiment se composait de sacs de farine, barils de porc salé, mélasse et cassonade, thé et café, bougie et savon ; puis de pelles, pioches, pics, plats en étain, poudre et balles, chemises de flanelle rouge, fortes bottes, vêtemens grossiers, et enfin et surtout de genièvre et de whiskey (eau-de-vie de grains). Sur le comptoir, une balance pour la poudre d’or. D’or ou d’argent monnayé, il n’en existait pas encore. Toutes les transactions se faisaient au comptant. Le mineur sortait de sa pochette en peau de chamois, par pincées de poudre ou en pépites, le prix de ses achats. L’or circulait à 12, puis à 14 piastres l’once (60 à 70 fr.). Le magasinier le vendait 16 piastres à San-Francisco. Quelques mineurs, connus pour leur sobriété et leur probité, jouissaient dans ces magasins d’un peu de crédit qui leur permettait de traverser sans mourir de faim les momens de gêne ; mais c’étaient là de rares exceptions.

D’un jour à l’autre, suivant la facilité ou la difficulté des transports, les prix variaient dans des proportions incroyables. On a payé jusqu’à 100 francs une bouteille de genièvre de 0 fr. 80 ; 500 francs un demi-baril de farine ; le reste à l’avenant. Du lundi matin au samedi midi, les mineurs travaillaient avec acharnement. Le samedi, on vidait les sluices, , sorte de tiroirs en bois où s’accumulait l’or lavé; on pesait et on se partageait le produit de la semaine; on nettoyait la tente, on lavait le linge sale; et, le soir venu, on se réunissait chez le magasinier. Trop souvent alors commençait l’orgie qui se continuait, furieuse, toute la nuit. Après six jours de dur labeur et d’abstinence, de déjeuners et de dîners composés,