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à chaque instant la question, puisque le verdict d’acquittement, précédé d’une délibération, a pour cause l’état de démence? Et n’est-il pas autrement grave de leur conférer le droit de laisser ou d’enlever la vie à un homme? L’article 240 du code d’instruction criminelle les invite bien à déclarer si le mineur qui a commis un crime a « oui ou non, agi avec discernement. » Les adversaires de cette séduisante doctrine redoutent l’abus que pourraient faire de la démence les avocats, d’habiles simulateurs et les jurés eux-mêmes, qui, déjà trop portés aux acquittemens, trouveraient dans les cas épineux, et grâce à cette question subsidiaire, un moyen de ne pas rendre un verdict de culpabilité sur la question principale.

Afin de se préserver d’une erreur judiciaire, un grand nombre de magistrats ont l’habitude de réclamer des expertises médico-légales[1] pour les prévenus ou accusés soumis à leur examen : de là une pratique fort répandus aujourd’hui, qu’aucune loi n’a prévue et réglée, et qui amène dans les asiles des individus dont l’insanité n’est pas démontrée ; de 1879 à 1883, ces placemens illégaux ont atteint le chiffre de 1,569, soit une moyenne de 315 par an. Ils ne se dissimulent pas toujours sous les apparences d’un internement d’office ordonné par les préfets, mais ils ont lieu en vertu d’ordonnances de juges d’instruction, des présidens d’assises ou de procureurs généraux. Quelquefois même l’autorité militaire, sans prévenir les préfets, a ordonné de mettre en observation des soldats prévenus ; de là des conflits, des résistances de la part des directeurs responsables des asiles ; il importe donc de légaliser ces placemens, de décider que l’expertise pourra avoir lieu dans le quartier d’observation ou dans l’asile.

On fait plus encore : le projet stipule la création d’asiles spéciaux pour les aliénés criminels des deux sexes, construits et entretenus aux frais de l’état. Cette réforme capitale a rencontré quelques contradicteurs décidés. Tous les aliénés sont dangereux, a dit M. Legrand du Saulle ; l’occasion de commettre un crime s’est offerte aux uns, elle a manqué aux autres. Des malheureux, auteurs inconsciens d’un crime, deviennent souvent à l’asile des travailleurs doux et inoffensifs. Pourquoi alors distinguer les aliénés

  1. La Médecine judiciaire en France, par Henry Coutagne. Archives de l’anthropologie criminelle, 15 janvier 1886. M. Brouardel demande qu’on relève les tarifs d’honoraires qui datent de 1811 et sont insuffisans, qu’on crée un examen qui donne seul le privilège de devenir médecin expert; il rappelle que l’Allemagne ne permet les examens judiciaires des cadavres humains que par deux experts, et que dans ce pays, il existe, depuis 1764, un médecin, le kreis-physicus, nommé par les magistrats ou le commandant, du cercle, qui représente l’autorité de circonscription au point de vue de la police médicale et sanitaire, fait les autopsies, donne son avis dans les cas ine1er ou civils, etc.