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et l’ordre public. Sous la restauration, Léger et Papavoine montent sur l’échafaud, bien que la folie ait été éloquemment plaidée pour eux ; le défenseur de Verger, s’appuyant sur l’autorité de Calmeil, n’est pas plus heureux en 1858, encore que l’assassin ait eu huit aliénés dans sa famille et qu’on ait invoqué cette tare héréditaire[1]. Depuis, il est vrai, le magistrat accepte largement l’intervention de la médecine mentale, et, certaines vérités scientifiques devenant à la longue des vérités juridiques, il ne croit plus que le simple bon sens, éclairé par l’examen attentif des faits et l’expérience des affaires judiciaires, suffise toujours à discerner l’état mental du prévenu ; il comprend qu’un individu partiellement fou commette un crime sans liaison saisissable avec sa démence, admet la folie transitoire, la folie à double forme, l’épilepsie larvée[2], règle parfois ses verdicts d’après un verdict scientifique de responsabilité complète ou incomplète. Il fait donc à l’aliéniste sa bonne part, puisqu’il le prend comme collaborateur, mais qu’il se garde bien de

  1. On avait amené au dépôt cet abbé Verger qui venait de causer un scandale public en s’agenouillant sur un degré du grand escalier de la Madeleine, ayant au dos l’écriteau qu’on sait. Le docteur Lassègue l’examina, et, jugeant qu’il n’était point fou, le renvoya. Vingt-quatre heures après, dînant en ville, il apprend qu’un prêtre vient dans la journée de tuer Monseigneur Sibour à Saint-Étienne-du-Mont. « Ah ! c’est mon abbé ! » s’écrie-t-il ! Depuis il prétendit qu’il valait mieux courir le risque d’enfermer un homme sain que de laisser libre un fou dangereux. Aujourd’hui l’abbé Verger eût passé pour un demi-fou, on l’eût acquitté ou à demi condamné, à raison de sa responsabilité atténuée. Beaucoup estiment encore que l’autre solution avait du bon.
  2. Falret soutenait qu’on ne peut pas préciser le degré d’atténuation de la responsabilité, parce que personne ne possède de phénomène. MM. Foville et Rousselin citent le cas d’un épileptique à attaques nocturnes, caissier d’un comptable public, commettant des erreurs de caisse à la suite de ses attaques et masquant très habilement, pendant plus de dix ans, le déficit par des faux, pour ne pas être congédié. Le ministère public abandonna l’accusation, le jury rendit un verdict de non-culpabilité, bien qu’on pût assurément alléguer une responsabilité partielle. M. Brossier, interne de l’asile de Nantes, cite plusieurs faits inédits de responsabilité atténuée. Marie Guillemette D…, âgée de trente-trois ans, était poursuivie pour infanticide ; c’était une fille hystérique, aux crises nerveuses rares, sans aucune compromission mentale avant ou après les attaques, et sans impulsions. Les attaques ne sont devenues fréquentes qu’après l’accusation ; les experts ont conclu à la responsabilité atténuée ; déclarée coupable avec circonstances atténuantes, elle fut condamnée à cinq ans de travaux forcés. — F. A., âgé de vingt et un ans, poursuivi pour vol, était fils d’une mère alcoolique, faible de corps et d’esprit, sans pouvoir être considéré comme imbécile ; il fut condamné à quatre ans de prison. Un clerc de notaire, âgé de vingt ans, était accusé de détournemens, de faux ; un médecin qui l’avait soigné autrefois, le regardait comme « un hystérique mâle, très vicieux, très hypocrite et très menteur… » Le» experts confirmèrent ce témoignage, ajoutant que la névrose s’était compliquée, à deux reprises, de troubles intellectuels passagers n’existant pas toutefois au moment de l’exécution des actes incriminés. Il obtint les circonstances atténuantes et fut condamné à deux ans de prison.