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de préfecture, du conseiller général, ils placent un médecin-secrétaire et un homme de loi, avoué ou notaire, agissant de concert avec la mission plus spéciale de visiter les internés, de recevoir les réclamations ; ils reconnaissent que des fonctions aussi compliquées rendent nécessaire de substituer la rémunération à la gratuité, accordent un traitement au médecin-secrétaire, des indemnités de déplacement à l’homme de loi qui l’accompagne, mais ne s’aperçoivent pas qu’ils retombent dans le cercle vicieux auquel on espérait échapper ; que le médecin-secrétaire deviendra forcément la cheville ouvrière de la commission; les autres membres, ayant déjà leurs occupations, se désintéresseront de ce mandat gratuit et lui laisseront carte blanche ; il y sera, comme disent les Orientaux, l’œil unique pour voir, le seul bras pour agir.

L’action de la commission permanente s’étendra dorénavant aux aliénés traités à domicile ou même dans la famille. Jusqu’ici la protection légale était réservée aux malades des asiles publics ou privés; désormais toute maison où un aliéné, même seul, est soigné par d’autres que ses proches parens, demeure soumise à la surveillance et assimilée à un asile privé. Le nombre des fous gardés à domicile est considérable, plus considérable sans doute que celui des internés, et on sait aujourd’hui que, sans parler des cas trop fréquens où il encourt les sévérités du code pénal, ce mode de séquestration offre des inconvéniens majeurs, puisqu’il aboutit presque toujours à la contrainte, et, par l’absence de soins dans les premières périodes, rend incurables ou aggrave la plupart des maladies mentales, tandis que l’internement procure au malade les avantages d’un traitement sérieux, lui permet de se mouvoir dans un plus vaste espace, de jouir souvent du bienfait de la vie en commun. Quant aux aliénés retenus par leurs familles, malgré leur fâcheuse influence sur le milieu familial, sur l’enfance en particulier, la psychiatrie admet l’utilité du système pour les imbéciles, les idiots, les crétins et même pour beaucoup de démens séniles; elle le repousse pour les aliénés proprement dits, et, d’accord avec la justice, découvre au foyer domestique les détentions les plus odieuses, dénonce ces calculs intéressés, cette altération des sentimens naturels que la folie amène autour d’elle en se prolongeant. Sans doute, le droit des parens d’agir d’autorité à l’égard d’une personne atteinte de démence ne saurait être contesté et, depuis la loi des Douze Tables, ce pouvoir absolu a fait le fond du droit public en Europe jusqu’après la révolution française. Vivement discuté en 1838, il continua de prévaloir et, en 1869, en 1872, des hommes de mérite, MM. Mettetal, Lacaze, se portaient ses champions. « Vous dites que la folie est héréditaire et que la société n’a qu’à gagner si, par suite d’une révélation semblable, ma fille est mise dans l’impossibilité de se marier! Moi, je