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Quant au projet de M. Gambetta, ils n’y virent que ce qu’il renfermait en réalité, l’expression d’une philanthropie désordonnée se traduisant par des propositions marquées au coin de l’utopie. Peut-être aussi le désir de se ménager un supplément de popularité n’était-il pas étranger à cette boutade législative ; du moins a-t-elle paru complètement oubliée, après 1870, par son principal auteur, qui affirma son intention de ne point la reproduire devant l’assemblée nationale.

Quelques-uns toutefois se montrent moins catégoriques et signalent les dangers trop réels qui résultent de la non-intervention de la justice dans les placemens volontaires et d’office, certaines séquestrations abusives opérées par les familles en présence de l’aliéniste impuissant et désarmé. Le docteur Dagonet, ancien médecin en chef de l’asile du Bas-Rhin, rapporte un exemple frappant de cette perversité si habile à tirer parti des lacunes de la loi. Une femme de mœurs fort légères parvient à s’emparer de l’esprit affaibli d’un officier supérieur en retraite, atteint d’un commencement de paralysie générale. Elle l’épouse et lui fait reconnaître un enfant qui n’est pas de lui, puis, lorsqu’il devient pour elle un embarras, munie d’un certificat de médecin, elle le place dans un asile et continue sa vie de désordres. Dès qu’elle s’aperçoit d’un commencement de grossesse, elle s’empresse de retirer son mari, qui est tombé dans un état complet d’incapacité mentale et physique, et, après l’avoir conservé chez elle le temps nécessaire pour légitimer, aux yeux de la loi, l’enfant qui va naître, elle le ramène à sa maison de santé, toujours armée du certificat médical. Et, plus tard, le mariage, le testament, la légitimité des enfans furent en vain attaqués par les héritiers naturels.

De tels faits, fussent-ils très rares, justifient amplement les enquêtes répétées, les travaux des commissions, les rapports volumineux de M. Théophile Roussel. Sans ajouter foi, plus qu’il ne convient, aux déclamations de MM. Turck, Garsonnet et consorts, on ne saurait méconnaître que la position spéciale de l’aliéné, l’absurdité habituelle de ses griefs, la difficulté de forcer les murs de l’asile, tout rend bien difficile la preuve devant la justice. Quand on se vante qu’aucun acte arbitraire n’a été commis, n’a été juridiquement constaté, on ne fait que déplacer la question et s’exposer à cette réplique d’une marquise de l’ancien régime : « Comment pouvez-vous être sûr de ces choses-là? » Bien des aliénistes, MM. Faber, Lassègue, Baillarger admettent la contagion de la folie, comme le public, en vertu de ce principe que nos idées et nos sentimens dépendent en grande partie du milieu où nous vivons. Sumuntur e conversantibus mores. Le docteur Brunet a observé que, dans les asiles d’aliénés, les malades se transmettent fréquemment