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les règles et les principes du devoir tels qu’ils les comprennent, d’après les doctrines qu’ils ont librement et sincèrement embrassées. Leur enseignement ne demandera rien qu’à l’expérience, s’ils sont matérialistes ou positivistes; il ne niera ni Dieu ni l’âme, mais il s’abstiendra de leur faire appel : c’est la liberté; mais c’est aussi la liberté qu’un enseignement différent puisse également se produire et que le professeur spiritualiste garde le droit de s’appuyer sur la distinction de l’âme et du corps, sur l’immortalité de l’âme, sur la bonté et la justice d’un Dieu rémunérateur et vengeur.

Le droit dont nous réclamons le maintien pour le professeur spiritualiste ne pourrait disparaître que si l’état lui-même se donnait expressément une base positiviste, de même que le droit du professeur positiviste ne pourrait pas être reconnu dans un état dont la base serait exclusivement spiritualiste et religieuse. On nous permettra d’écarter l’une et l’autre hypothèses. L’état français, si nous comprenons bien l’esprit de ses institutions, n’admet qu’une base libérale. Il se confie, pour assurer le progrès des idées, des mœurs, des lois elles-mêmes, à la libre discussion, sans prendre parti pour aucune doctrine philosophique ou religieuse : ce qui ne veut pas dire qu’il n’en accepte aucune, mais, au contraire, qu’il n’en exclut aucune. Les hommes en qui se personnifient les pouvoirs publics ont leurs préférences ; ils s’en inspirent dans leur langage et dans leurs actes et ils ont souvent prétendu les imposer à la société tout entière. La société elle-même, prise dans son ensemble, a souvent donné et donne encore le spectacle d’une rivalité d’intolérance entre les doctrines opposées, qui, tour à tour, parfois à quelques semaines de distance, ont pratiqué et subi des tentatives de persécution. Le renouvellement et l’avortement alternatif de ces tentatives sont, en réalité, la plus forte preuve de l’impossibilité d’asseoir la société française sur une base exclusive. Cet état de la société est aussi celui de l’enseignement philosophique. L’unité qui lui est imprimée par la puissance publique n’est pas l’unité d’une même doctrine, mais la réciprocité des devoirs de tolérance et de respect entre toutes les doctrines.

La diversité des doctrines enseignées dans les écoles de l’état, comme dans les écoles libres, est la condition nécessaire d’une société profondément divisée ; mais c’est aussi une loi bienfaisante. L’enseignement n’est vraiment fructueux que s’il est donné sous l’inspiration et avec l’accent d’une conviction sincère. J’aime mieux, pour exciter et pour féconder les esprits, des idées fausses ou qui me paraissent fausses, si elles sont bien développées et fortement enchaînées, que l’exposition froide et aride des théories qui me sont le plus chères. Les jeunes intelligences qu’il s’agit de former