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La doctrine de l’état, pour l’enseignement de la philosophie, est, en fait, une doctrine toute négative. Elle n’impose aucune solution, mais elle exclut certaines solutions. Et d’abord, pour l’enseignement public comme pour l’enseignement privé, les solutions contraires à la morale, à la constitution et aux lois ; puis les solutions contraires aux dogmes des églises reconnues par l’état. C’est sur ce dernier point seulement que l’enseignement public est moins libre que l’enseignement privé. L’enseignement privé a le droit de s’adresser directement à une catégorie déterminée d’élèves. Il peut se faire une clientèle de purs catholiques et n’épargner devant elle aucune critique, soit aux autres religions, soit à la libre pensée. Il peut user du même droit près d’une clientèle protestante à l’égard du catholicisme. Il peut aussi, près d’une clientèle libre penseuse, poursuivre de ses attaques toutes les religions. L’enseignement de l’état, dont le devoir est de s’ouvrir à toutes les familles sans distinction de croyances, ne peut avoir les mêmes immunités. Il s’impose le respect absolu de toutes les croyances entre lesquelles se partagent ou peuvent se partager ses élèves.


IV.

Ce respect absolu pour les croyances religieuses, dont notre enseignement public se fait un devoir, n’est pas l’abstention absolue sur toutes les questions qui peuvent toucher à quelque croyance. L’abstention a pour objet, non les questions elles-mêmes, mais les doctrines dans tout ce qu’elles pourraient contenir qui serait en opposition formelle avec la foi commune ou les dogmes particuliers des religions professées dans notre pays. Il n’est pas permis de professer, dans une chaire de l’état, le pur matérialisme et le pur athéisme, mais il est permis de les combattre. L’enseignement est tenu à une neutralité scrupuleuse entre les diverses religions : il n’est pas tenu à la même neutralité entre les diverses philosophies.

La neutralité philosophique serait la négation même de la philosophie. Il n’est pas une question de philosophie sur laquelle n’aient été professées de tout temps et ne soient professées de nos jours des opinions contraires. R philosophie n’offre donc pas de terrain neutre. Il faut la rayer de l’enseignement ou laisser à ceux qui l’enseignent la liberté de se prononcer, sur chaque question, entre les divers systèmes. La liberté est entière, en dehors de l’école, pour les écrits des philosophes. Elle subit une première restriction dans l’école libre, puisqu’on ne peut s’y prononcer en faveur des doctrines qui