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risquerait pas, dans tous les cas, de trouver beaucoup d’imitateurs. Mais la vérité est que M. le duc d’Aumale n’a obéi à aucun sentiment de circonstance, à aucune préoccupation personnelle. C’est, il y a deux ans déjà, à un moment où il avait le droit de se croire en sûreté, qu’il exprimait ses volontés dans un testament secret confié à un officier public, et ce qu’il décidait librement, dans le secret de sa pensée, il y deux ans, il n’a fait que le confirmer aujourd’hui sans amertume, sans la moindre allusion à des incidens récens, avec une parfaite sérénité d’esprit, comme si rien ne s’était passé. La divulgation n’a eu d’autre objet que de rendre dès ce moment irrévocable un don que M. le duc d’Aumale avait résolu dès longtemps, quand il croyait encore pouvoir vivre paisible et honoré dans son pays, — que son cœur généreux ne rétracte pas dans l’injuste épreuve de l’exil. C’est ce qui imprime un si haut caractère à cet acte de patriotique libéralité, qui n’a certes rien de commun avec les manèges des partis, qui se dégage, dans sa noblesse, du tourbillon de banalités, de misères et de violences où se perd la politique du jour.

Lorsqu’il y a trois mois, les républicains du gouvernement et des chambres, qui se flattent de sauver périodiquement la république, décrétaient sommairement l’exil d’un prince qui ne réclamait d’autre droit que celui de servir et d’honorer la France, ils croyaient probablement bien servir leur cause. Qu’ont-ils gagné à cet acte d’emportement ? ont-ils pu se sentir mieux assurés dans leur domination ? Ils ont inscrit dans leur histoire une violence, une faute de plus, voilà tout ! Ils n’ont rien gagné, ils n’ont rien changé, parce que les difficultés, les embarras qu’ils retrouvaient sans cesse devant eux il y a trois mois, tenaient non à la présence d’un prince ou de plusieurs princes sur le sol de la France, mais à toute une politique à laquelle ils se sont obstinément, aveuglément attachés depuis quelques années, et qu’on va revoir à l’œuvre au premier jour, à tout propos. C’est aujourd’hui même, en effet, que nos chambres se réunissent, qu’elles vont se retrouver en face d’une situation morale, financière, économique, administrative, qui n’est rien moins qu’améliorée depuis trois mois, et c’est sans doute pour se préparer, pour préparer son monde à cette session nouvelle que M. le président du conseil a tout récemment entrepris dans le Midi un voyage de propagande et d’agrément, — ce qu’on pourrait appeler un voyage-programme. M. le président du conseil est allé de Bordeaux à Montpellier, de Montpellier à Bordeaux, avec station à Toulouse, escorté dans sa marche de généraux, de préfets, d’autorités de toute sorte, acceptant les honneurs réservés jusqu’ici aux chefs de l’état ou aux princes, fêté dans les banquets officiels, semant les discours et les allocutions bienveillantes sur son passage.

L’oracle a parlé à Montpellier et à Bordeaux, il a parlé surtout à Toulouse, il a parlé partout. Ce n’est pas la première fois, à vrai dire,