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dans tout le midi de l’Italie que trois manicomes pour vingt-trois provinces, et faute de place, un grand nombre de fous en sont repoussés. Déjà les ministres ont présenté plusieurs projets, mais les incertitudes, les oscillations de la politique ont énervé leurs bonnes intentions, au point qu’un projet de M. Depretis, soumis aux chambres le 15 mars 1881, attend encore sa mise à l’ordre du jour, et l’attendra sans doute jusqu’au rote de la loi française dont les Italiens veulent profiter pour amender la leur. Ainsi répondait un aliéniste espagnol à un de nos compatriotes : « Nous n’avons encore que des règlemens et des ordonnances ; la loi que vous allez discuter nous servira de modèle. » Très favorablement accueilli par les aliénistes, par l’opinion publique et la commission parlementaire de la chambre, le projet de M. Depretis est précédé d’un exposé de motifs qui mérite notre attention.

Le ministre explique d’abord que la loi a pour but d’assurer la collocation dans un manicome de tout aliéné à l’égard duquel la société civile a le devoir d’un traitement et le droit de sa propre défense : elle oblige donc chaque province à pourvoir au placement de tous ses fous dangereux, confie au pouvoir judiciaire le droit d’autoriser l’internement et la sortie, d’organiser la protection des biens, demeurée jusqu’ici sans garantie, tant que l’interdiction n’était pas provoquée. Pour détruire les effets d’un arrêt de justice il faut un autre arrêt ; ce qu’elle a fait, elle seule peut le défaire ; ainsi le veut l’intérêt des malades auxquels des parens cupides essaieraient d’extorquer des signatures dans l’intention de les dépouiller. Afin d’épargner les budgets provinciaux, de débarrasser les asiles de leur trop-plein, on placerait certaines catégories de démens à domicile, avec secours, ou dans des établissemens charitables moins coûteux, hospices de maladies chroniques, refuges de mendians. Comme le médecin mis à la tête du manicome public ou privé doit être « l’âme de l’établissement, » le centre vers lequel converge toute branche de service, l’autorité responsable de l’exacte observation de la loi, on ne veut pas qu’il lasse son apprentissage aux dépens des malades (comme tant de politiciens font le leur aux dépens du pays), et on lui impose d’avoir exercé deux ans au moins dans un manicome public. La loi toscane, à laquelle le projet Depretis fait maint emprunt, fournit un excellent moyen d’échapper aux lenteurs de l’autorisation judiciaire : la demande de réclusion, appuyée d’un certificat médical, est remise au préfet, au sous-préfet ou au maire qui ordonnera garde provisoire au manicome, et dans les vingt-quatre heures expédie le dossier au tribunal ; la personne internée demeure soumise à une période d’observation qui ne dépasse pas trente jours, après laquelle le médecin-directeur et le