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transformés en accusés, se défendant contre ceux-là même qui les aiment le plus, obligés de comparaître devant la cour du comté et livrés en spectacle à la curiosité de quelques badauds, parasites des cours d’assises, les secrets de la famille et d’une chambre de malade dévoilés en public, les jurés incapables de discerner la raison ou la folie. Ils n’ont pas encore triomphé complètement, car la loi de 1882 veut qu’on n’admette aucun aliéné s’il n’a d’abord été jugé en personne par un tribunal, devant un jury de six membres ; mais du moins a-t-elle décidé que, parmi ceux-ci, figurerait un médecin. Leur verdict mentionne la nature, l’ancienneté, les causes présumées, le caractère héréditaire ou non de la maladie ; et, s’il y a lieu, l’existence de crises épileptiques, de tendances à l’homicide ou au suicide.

En pratique, l’institution d’un jury pour la folie perd du terrain, et aujourd’hui les magistrats cherchent à établir une jurisprudence conforme à la loi de l’Ohio, qui, pour les aliénés ordinaires, confie le placement à un juge de la cour des probates et n’admet le jury que pour les aliénés criminels. Loin de s’en plaindre, les aliénistes de l’état n’ont cessé de préconiser ce système, qui les décharge de toute responsabilité. « Il n’est pas nécessaire, remarque l’un d’eux, que le malade soit amené devant un tribunal, en audience publique, dans un édifice public. Le père d’une jeune fille, par exemple, se présente devant le juge des probates et lui dit : « Je crains que ma fille ne soit folle et je voudrais la placer dans un asile. » Puis il signe sa déclaration et ajoute : « Cela ne peut-il se faire d’une manière très discrète ? — Oui, monsieur, répond le juge, il faut que j’entende un ou deux témoins ; je me rendrai chez vous à telle heure. » Il s’y rend, le médecin de la famille s’y trouve en même temps ; ils voient ensemble la malade et se livrent aux investigations nécessaires. Ils passent alors dans une autre pièce, couchent leurs opérations par écrit, le juge rédige son ordonnance, et les voisins les plus rapprochés peuvent très bien ne rien savoir. » D’autres états observent une procédure différente : l’Indiana exige l’intervention de plusieurs juges de paix, de médecins et de la cour de circuit du comté ; la Géorgie se contente d’un certificat signé de trois médecins honorables ; le Maine, depuis plus de vingt ans, confie les placemens aux officiers municipaux des villes, et le docteur Harlow, inspecteur de l’asile de cet état, répondait à ce propos : « Je suis disposé à avoir bonne opinion d’un pont sur lequel j’ai toujours pu passer en toute sécurité ; et, quand un mode de procéder m’a mis à l’abri de tout ennui, je m’en déclare partisan… »

Afin de combattre les préventions accréditées contre eux et l’intrusion de la politique dans les asiles, les aliénistes ont formé en