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appropriée avec l’amour de leur métier. Les aliénistes écossais affirment que leur méthode n’entraîne pas plus d’accidens que celle des portes fermées : voilà le point litigieux ; autant les Anglais se montrent disposés à recommander certaines pratiques, telles que placemens provisoires, extension du traitement à domicile, sorties conditionnelles, congés sur parole ; autant ils témoignent de répugnance contre le système des portes ouvertes, contre ce « vain simulacre de liberté. » Ralliât-il plus tard tous les suffrages, bien des causes, la dépense entre autres, empêcheront sans doute ou retarderont longtemps son application ; peut-être aussi, ce qui est vérité en Écosse, est-il erreur au-delà. Si ses inventeurs ont fait fausse route, du moins se trompent-ils noblement, et leur tentative serait de celles dont il reste quelque chose, de celles qui sèment du bonheur et prennent rang parmi les monnaies idéales de l’humanité.


III

Traversons maintenant l’océan et abordons les États-Unis, où nous attend un spectacle beaucoup moins satisfaisant : Jonathan, aliéniste, reste très inférieur à John Bull, l’ancienne colonie à la métropole, la république modèle à la monarchie modèle. Point de législation centrale, quarante états à peu près souverains, quarante statuts différens ; ici, des lois bien étudiées, des établissemens magnifiques ; là, des anomalies choquantes, des asiles défectueux, mal surveillés, des règlemens hâtifs, improvisés au gré du caprice de l’opinion, cette folle du logis des peuples. Dans certains états, la pratique corrigeant l’incompétence des parlemens locaux, les mœurs exagérant les défauts d’une réglementation incohérente ; un véritable délire de libéralisme, l’invasion du jury, cette garde nationale judiciaire, chargé de trancher les questions de folie. On semble ignorer que l’abus de la liberté entraîne l’absence de liberté, qu’il ne sert de rien de proclamer des droits si on ne les garantit point. C’est par excellence le pays de l’égoïsme divinisé, de l’âpre lutte pour la vie, celui où retentit le plus la dure imprécation antique : Vœ victis ! Malheur aux faibles ! Sans doute, l’Américain est généreux, et, parvenu à la fortune, il contribuera à fonder l’asile, où, dérision du sort ! entreront peut-être ceux-là même qu’il aura ruinés par ses faillites lucratives et rendus fous. Mais, auparavant, quel large mépris de son semblable, quelle furieuse course vers la réussite, cette raison d’état de l’homme public et de l’homme privé, quelle ardeur à réaliser le dicton national : « Ce qui est à moi m’appartient, ce qui est à toi est à moi ! » Comment s’étonner si les passions mauvaises trouvent leur pâture là où la justice faiblit, où la politique, l’éternelle corruptrice, envahit les institutions les plus