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fortes. Un médecin va le voir deux fois par an, et, au moindre indice suspect, les commissioners provoquent sa réintégration dans le quartier pénitentiaire.

La grande réforme des Écossais, leur découverte par excellence, celle dont ils s’enorgueillissent le plus, qu’ils défendent et propagent depuis quelques années par la plume, la parole et l’exemple, c’est la méthode dite des portes ouvertes ; elle est à la doctrine de Conolly ce qu’était celle-ci aux principes de Pinel, de Ferras, de Tuke. — Partant du principe commun à toutes les écoles : écarter du malade ce qui réveille l’idée de prison, les Écossais en déduisent ces audacieuses pratiques : suppression des murs d’enceinte auprès des préaux, des portes fermées dans l’intérieur des asiles, extension considérable des congés sur parole. C’est le contrepied du système habituel que le docteur Lassègue caractérisait en disant que « le fonctionnaire le plus important d’un asile, c’est le portier. » A Woodilee, on dit : « Tenez les portes fermées, l’aliéné épiera le moment où elles s’ouvrent pour s’échapper ; ici il est entouré de soins, exempt de contrainte et ne songe pas à s’enfuir. » Il habite au milieu d’un domaine rural dont les pelouses et les jardins entourent les bâtimens ; point de cour réservée à telle ou telle catégorie de malades ; tout est ouvert comme autour du château d’un lord, partout on circule sarts entraves, aucune serrure fermée à clé pendant le jour ; pour ouvrir les portes des habitations, il suffit de tourner un bouton ordinaire ; les aliénés dépensent en libre grâce leur énergie, et, affirment les apôtres du nouvel évangile aliéniste, les Rutherford, les Blair, cette faculté d’expansion fait disparaître beaucoup plus vite l’agitation. A Dumfries, l’administration a loué de vastes domaines afin de procurer à ses riches pensionnaires les plaisirs de la pêche et de la chasse. Non-seulement ils prennent leurs repas dans une vaste salle unique, mais on y place à côté les uns des autres les hommes et les femmes, afin d’entretenir les habitudes de courtoisie qu’ils avaient dans le monde raisonnable. Que deviennent alors l’ordre et la discipline ? Ne retombe-t-on pas en pleine anarchie ? Nullement, car les directeurs d’asiles remplacent les obstacles matériels par la précision dans l’emploi du temps, l’enchaînement des occupations et la régularité acquise des habitudes, surtout par des gardiens nombreux, recrutés avec un soin sévère, qui s’appliquent à gagner la confiance des malades et exercent sur eux une surveillance invisible mais continuelle. N’est-ce pas alors le cas d’appliquer la boutade de Beaumarchais : « Aux vertus qu’on exige d’un surveillant, combien de médecins seraient dignes de devenir surveillans ? » On en trouve cependant, en les payant bien, en les soumettant à une sorte d’entraînement qui leur donne une éducation