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parlementaire de 1877, quelqu’un rappela cette protestation d’un ancien lunatic qui, se plaignant qu’on lui eût permis de signer une décharge d’un dépôt d’argent, signala avec raison ce qu’il y avait d’illogique à le laisser régler des affaires qui réclamaient l’exercice d’un jugement sain, en même temps qu’on le retenait dans un asile comme dément, il y a bien un bill de 1862 qui autorise le lord chancelier à prendre en mains, sans formalité préalable, les intérêts des aliénés de fortune moyenne, mais, on ne sait pourquoi, cette clause reste stérile : un très petit nombre, une vingtaine au plus, en ont profité.

Ainsi, d’un côté, 78,000 lunatics présumés pauvres et insuffisamment protégés ; de l’autre, un millier environ de lunatics, dont une législation cinq fois séculaire s’occupe énergiquement. On les appelle les aliénés du lord chancelier, et, détail piquant, la tutelle de leurs biens a commencé longtemps avant celle de leurs personnes, tant l’individu, considéré comme simple dépositaire de sa fortune, disparait devant l’intérêt collectif, tant la nécessité de perpétuer la puissance des grandes familles importait à la solidité des institutions politiques ! D’après ce vieux droit anglais, le roi, parmi ses prérogatives, comptait la garde des biens des idiots et des fous, mais il va de soi qu’il ne les gérait pas lui-même : il les déléguait à un parent ou à quelque courtisan qui partageait les bénéfices avec lui ; de là cette ancienne expression populaire : « Demander quelqu’un au roi. » Dans Peines d’amour perdues, le bouffon Costar lance cette réplique à un autre personnage qui parait douter de son bon sens : « Vous ne pouvez pas nous demander ; je vous assure que nous savons parfaitement ce que nous faisons. » Aujourd’hui, la protection des aliénés du lord chancelier s’exerce par les soins d’un haut comité composé de cinq membres : deux masters in lunacy (maîtres en aliénation mentale) ; trois visitors ; les premiers reçoivent 50,000 francs d’appointemens ; les seconds, 37,500. La déclaration de folie a lieu après une longue et coûteuse procédure, connue sous le nom d’inquisition, dans laquelle le malade ou son conseil peuvent requérir la garantie d’un jury. Le master désigne ensuite deux tuteurs : l’un, chargé de l’administration des biens, l’autre, de la personne ; il détermine la somme annuelle que celui-ci pourra consacrer à l’aliéné, d’ordinaire les deux tiers du revenu, lui impose l’obligation de fournir un cautionnement, de présenter des rapports. Viennent enfin les visitors, qui assurent l’exécution des règles, rendent compte de leurs visites au chancelier et aux masters. Cette institution, un peu fossile, toute de privilège et de tradition, qui rappelle involontairement la réflexion célèbre : Faisons de l’arbitraire, mais légalement ; a donné prise à de sévères critiques, et l’un des masters in lunacy, M. Balfour, l’a jugée d’un mot : « Je suis partisan d’une réforme complète de la procédure en vue de la