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sévère des asiles publics : ils ont retourné l’argument de l’intérêt personnel, en soutenant que le médecin payé d’une manière invariable n’a plus aucun stimulant, tandis que l’autre verra ses bénéfices augmenter en raison directe de la réputation de sa maison. En 1877, lord Shaftesbury a reconnu qu’on avait obtenu d’heureux changemens, que, sous l’aiguillon de la concurrence, de l’opposition dirigée contre eux, les propriétaires se montraient plus disposés à faire des dépenses : leurs ennemis théoriques admettent que, dans la pratique, on ne saurait se dispenser de tenir compte d’un état de choses établi. Au reste, ils tombent sous la férule des commimoners et des juges de paix qui peuvent refuser ou retirer la licence, et ne l’octroient qu’à bon escient. Parmi ces asiles privés, huit, par leur importance, rivalisent avec les asiles publics[1], reçoivent par centaines des pensionnaires au compte des familles et même des aliénés indigens ; les autres, quatre-vingts environ, sont des maisons de santé destinées aux seuls pensionnaires (private patients) ; elles ont, en moyenne, une cinquantaine de malades ; quelques-uns sont des écoles pour les enfans arriérés, où l’on réussit à atténuer les inconvéniens de leur infirmité en leur donnant quelques linéamens d’éducation. Ainsi de l’asile d’idiots d’Earlswood, situé dans le comté de Surrey, que le docteur Billod a visité, en 1881, et dont il a rapporté des impressions intéressantes. « A part quelques rares exceptions, où une physionomie régulière et une organisation physique normale s’observent en même temps qu’une oblitération plus ou moins complète des facultés intellectuelles, il était impossible de n’être pas frappé, dans l’ensemble, d’une certaine défectuosité de formes, d’un certain degré de dégradation physique coïncidant avec la dégénérescence intellectuelle et morale. » Malgré ces conditions si désavantageuses, on tirait partie de presque tous ces enfans. Il y en avait de très adroits dans leur métier : l’un d’eux avait, de ses mains, construit un charmant petit modèle de navire avec tous ses agrès. A son arrivée, il était sourd-muet, très sauvage, ne faisait entendre qu’un grognement inarticulé et cherchait toujours à s’enfuir dans les buissons du parc. On était parvenu à le rendre très sociable, et il s’était formé à un langage intelligible.

Cette énumération resterait incomplète si l’on oubliait de mentionner une pratique qui consiste à soigner un pensionnaire isolé, moyennant rémunération, dans des maisons particulières. Ici plus

  1. Le gouvernement a fait construire trois asiles royaux pour les soldats et marins aliénés, pour le service des Indes : l’asile de la marine est situé à Yarmouth, au bord de la mer, position qui permet de procurer aux malades des distractions en rapport avec leur ancien métier.