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instincts sont des variations de l’appétit produites en partie par le mécanisme et la sélection naturelle, en partie par la réaction de l’être sensible et intelligent. L’histoire mentale des animaux a trois momens. D’abord la sensibilité est obscure encore, l’appétit est sourd, ayant à peine conscience de soi : c’est le premier degré. Puis, réagissant contre le monde extérieur, l’appétit prend la forme du mécanisme, s’encadre dans ses actes, se cristallise pour ainsi dire dans les instincts : c’est le deuxième moment. Mais le mécanisme, chez les espèces supérieures et surtout chez l’homme, tend à se transformer, à se rendre lui-même mobile et progressif. Dans l’espèce humaine, à côté des instincts qui ont pour objet l’intérêt, soit de l’humanité, soit de la race, soit de la nation, il y a un instinct qui pousse chaque individu à se faire une personnalité. Là est le point où l’instinct se retourne en quelque sorte contre lui-même, finit par se réduire de plus en plus, s’absorber dans la puissance intellectuelle, essentiellement mobile et progressive. Dès lors, nous ne saurions supposer dans les siècles à venir, avec M. Herzen une sorte d’ère paradisiaque où l’homme aurait acquis une somme d’instinct qui rendrait la raison inutile, où il calculerait comme il digère, où il philosopherait comme il dort, où les opérateurs et les praticiens auraient la sûreté anatomique de l’ammophile, les navigateurs l’instinct de direction qu’à l’abeille. Tandis que, chez les animaux, l’espèce ne semble songer qu’à l’espèce, dans l’humanité l’espèce songe à l’individu : à mesure que l’espèce se développe, l’individu se développe ; aussi il tend de plus en plus à être lui-même, et l’instinct qu’il transmet à ses descendans est précisément la tendance à une individualité progressive. En un mot, peut-on dire, tandis que le désir de vivre et de jouir enracine de plus en plus dans l’animal l’instinct mécanique, il pousse de plus en plus les hommes à agir par d’autres raisons que par le mécanisme fixe de l’instinct ; la conscience réfléchie s’accroît, les lois mêmes de l’espèce tendent à rendre à l’individu la personnalité ; ce que la race humaine transmet à l’individu, C’est un esprit d’initiative qui le délivre partiellement des fatalités de race pesant sur lui. L’intelligence, en ses lois essentielles, devient elle-même un instinct supérieur, une adaptation supérieure à un milieu plus large et universel. La formation d’une conclusion logique dans un esprit intelligent, lorsque les prémisses sont clairement posées, est devenue, dit M. Maudsley, tout comme la natation d’un canard jeté à l’eau, une nécessité instinctive. Ce qui, vu objectivement, apparaît comme une nécessité mécanique, devient subjectivement une nécessité logique, selon la remarque de M. Wundt. Le logique, en d’autres termes, est le dessous du mécanisme, et le mécanisme est du logique retourné. Mais il y a cette différence que,