Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/885

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produit des petits qui prenaient spontanément cette position et « mendiaient » leur nourriture, sans avoir vu jamais leur mère leur donner l’exemple. L’accent gascon, marseillais, catalan, castillan, anglais, basque, se retrouve par hérédité chez les sourds-muets de divers pays, qui ont pourtant appris d’un même professeur parisien à parler d’une manière artificielle, sans entendre et sans s’entendre, par une simple imitation des mouvemens visibles de la bouche. L’habitude produit, dans les cellules affectées, soit aux opérations mentales, soit aux mouvemens, une orientation nouvelle, qui s’étend d’une partie du corps aux parties similaires par une sorte de contagion. La méthode d’écriture d’Audoyer consiste en ce que l’élève repasse avec la plume au moins vingt fois de suite sur des lettres tracées au crayon ; le physiologiste Weber a observé, chez ses enfans, que la main gauche apprenait un peu à écrire en même temps que la main droite, mais écrivait à rebours : il a donc fallu que la partie droite du cerveau s’exerçât sans que la main gauche fit de mouvement, et que l’habitude s’étendit par contagion d’un hémisphère à l’autre. Une contagion analogue peut s’étendre par hérédité du cerveau des parens à celui des enfans : c’est ce qui fait revenir l’accent paternel et ancestral dans la voix du sourd-muet, c’est ce qui fait aussi reparaître dans certaines familles des traits caractéristiques d’écriture. Il y a aussi dans l’espèce humaine des tics héréditaires très analogues à des instincts dépourvus d’utilité. L’habitude et la transmission des tics est plus accentuée chez les enfans dont le développement mental est arrêté, pur exemple chez les idiots. Si l’on voit, dit M. Romanes, un enfant qui se balance incessamment ou exécute d’autres mouvemens rythmiques, « on peut être assuré que le cas est grave. » La transmission de certaines habitudes très spéciales doit donc être plus marquée encore chez les bêtes que chez l’homme, surtout quand ces habitudes, au lieu d’être inutiles, se trouvent précisément utiles à l’espèce. Les mouvemens habituels étant plus faciles pour l’individu, une certaine jouissance est liée à l’accomplissement de ces mouvemens, où se dépense l’activité ; de là le penchant à les reproduire : il en est de même quand l’habitude est héréditaire. Ainsi s’expliquent un grand nombre d’instincts chez les animaux. Par exemple, quelques fourmis se sont mises à faire la guerre : c’est devenu pour elles une habitude ; cette habitude, elles l’ont transmise à leurs descendans qui sont devenus de plus en plus aptes à combattre, mais de plus en plus incapables de se livrer à toute autre besogne. — Pour les nations, remarquons-le, la loi est la même : les peuples exclusivement belliqueux deviennent plus ou moins incapables des travaux de la paix. — Parmi les fourmis encore, quelques-unes ont deviné,