Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

promenaient le plus leurs œufs et les gardaient le plus avec eux ont dû le mieux réussir à élever leur progéniture. De là M. Romanes conclut que l’instinct de l’incubation a pu naître de l’instinct de protection, et se développer sans la moindre intervention de l’intelligence. Mais, si cette explication ne suppose pas chez l’animal un « dessein intelligent, » elle présuppose cependant un penchant sensitif déjà préexistant, comme l’instinct de « protection, » où M. Romanes voit l’origine du couvage, « l’attention » des animaux pour leurs œufs, etc. ; elle implique par cela même bien autre chose qu’un pur mécanisme. Ce ne sont donc pas des mouvemens automatiques qu’il faut prendre pour premier point de départ dans l’explication des instincts : c’est, encore une fois, l’élément le plus rudimentaire de la vie mentale, l’appétition accompagnée d’émotion sourde et de sourde conscience. Quant à l’intelligence proprement, dite, c’est seulement plus tard qu’elle intervient.

S’il en est ainsi, appliquons au facteur primitif de l’appétit et au facteur secondaire de l’intelligence las lois de l’habitude, de l’hérédité et de la sélection naturelle : nous aurons ainsi tous les élémens d’une théorie complète.

La première explication de l’instinct, ce sont les modifications introduites par les lois de l’habitude même dans l’appétit et dans ses moyens de satisfaction. D’abord nécessaire, l’émotion de plaisir ou de douleur, qui donnait le branle à l’appétit, disparaît peu à peu par l’habitude : ce qui n’est plus efficace s’élimine soi-même dans la nature, ou se reporte ailleurs. Dès que les voies sont devenues perméables, le courant nerveux coule sans secousse, les contrastes de la conscience disparaissent, l’automatisme commence.

En second lieu, grâce aux lois de l’hérédité, le mécanisme acquis se transmet de génération en génération. Telles et telles habitudes données par l’homme au chien sont devenues innées dans la race. Knight a soigneusement observé, il y a cinquante ans, les chiens d’arrêt, en prenant soin qu’ils ne reçussent aucune instruction de leurs pareils. Dès le premier jour, l’un d’eux resta tout à coup immobile et tremblant, les muscles tendus et les yeux fixés sur des perdrix, exactement comme on l’avait enseigné à ses ancêtres. Un jeune chien terrier, d’une race dressée à la chasse des fouines, entra dans la plus grande agitation la première fois qu’il vit une fouine, tandis qu’un épagneul resta parfaitement calme et indifférent[1]. M. Romanes cite l’exemple de chattes qui, habituées à demander leur nourriture en posture dressée comme font les chiens, ont

  1. Au reste, un instinct général, par exemple celui de la peur, peut en dominer un autre plus particulier. Nous avons eu un jeune chien des Pyrénées, d’une race habituée à garder les moutons, qui prit la fuite devant le premier mouton, qu’il aperçut.