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ou de la fourmi est de l’expérience accumulée, de l’appétition et du sentiment emmagasinés par des séries innombrables d’individus. L’instinct, en un mot, est un produit psychique et non pas seulement mécanique ; l’élément psychique y subsiste encore, au début sous forme d’appétit, au milieu sous forme de conscience plus ou moins vague, à la fin sous forme de satisfaction et de plaisir. Seule la série des moyens est devenue automatique et se déploie aujourd’hui sans représentation intellectuelle.

De même qu’un mécanisme d’actions réflexes dépourvu de tout élément psychologique ne pourrait, à lui seul, produire l’instinct, de même la sélection purement mécanique à travers les âges y serait impuissante. La sélection naturelle, en fixant des accidens utiles, a sans doute joué un rôle considérable dans le développement des instincts particuliers. « Quand les conditions de vie se modifient, dit Darwin, il est au moins possible que de légères modifications d’instincts puissent se trouver profitables à une espèce, et si l’on peut montrer que les instincts varient, si peu que ce soit, je ne vois pas de difficulté à admettre que la sélection naturelle doit conserver et accumuler sans cesse des variations d’instinct, tant qu’elles sont profitables. Les effets de l’habitude sont, dans bien des cas, d’une importance moindre que ceux de la sélection naturelle, de ce que l’on peut appeler les variations spontanées de l’instinct ; c’est-à-dire des variations produites par les mêmes causes inconnues et accidentelles qui produisent les légères déviations de structure du corps. » Ce serait ainsi principalement, selon Darwin, par l’accumulation lente et toute mécanique de variations heureuses que les instincts auraient pris naissance. Nous croyons que cette théorie, malgré ce qu’elle a de vrai, donne trop de place aux « accidens heureux » et au mécanisme du hasard. De plus, la sélection mécanique présuppose toujours à l’origine quelque appétit fondamental. C’est donc à tort que M. Romanes admet des instincts explicables par la seule sélection naturelle, sans élément psychologique. Les exemples qu’il cite, comme l’instinct du couvage, sont précisément défavorables à cette théorie. Il est impossible, remarque M. Romanes, que jamais un animal ait gardé ses œufs à une température tiède avec le dessein intelligent d’en faire éclore le contenu : l’instinct de l’incubation a donc dû avoir pour origine « certaines attentions des animaux à sang chaud pour leurs œufs, analogues à celles que manifestent souvent les animaux à sang-froid pour les leurs. » Ainsi, les crabes et les araignées prenaient leurs œufs avec eux pour les protéger ; « si, à mesure que les animaux sont devenus des animaux à sang chaud, quelque espèce a adopté une coutume analogue, cette coutume a entraîné réchauffement des œufs et, par cela même, une durée moindre de l’incubation. » Les individus qui