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peur[1]. Chez les enfans, la crainte produite par une forêt sombre ou par une caverne est instinctive quand ils ont atteint l’âge de six à sept ans ; elle ne se manifeste pas chez les enfans très jeunes. Selon les partisans de Darwin, cette crainte serait le résumé d’une multitude innombrable d’expériences humaines dans la vie des bois et des cavernes ; si elle ne se manifeste pas dès le bas âge, c’est que les différens instincts attendent, pour s’éveiller, les âges correspondant aux diverses périodes du développement de la race.

En somme, l’innéité des instincts se ramène, selon nous, à l’innéité de certaines associations imprimées et réalisées dans un mécanisme héréditaire tout prêt à fonctionner. Le stimulant approprié, par exemple la faim, produit un courant qui se manifeste comme impulsion et émotion ; l’impulsion et l’émotion s’emparent des idées ou représentations déjà acquises par l’individu, comme l’idée des animaux qui lui servent de proie, et enfin le tout se range dans un certain ordre fixe. La structure organique ne peut manquer de se refléter plus ou moins confusément dans la conscience générale de l’animal : lors donc que le stimulant approprié met en jeu tel ou tel ensemble de mouvemens associés, le fonctionnement organique produit une émotion et une représentation correspondantes ; celles-ci deviennent de plus en plus vives et impérieuses à mesure que le fonctionnement organique acquiert plus d’énergie. La représentation dominante manifeste alors une force expulsive à l’égard des autres représentations : elle devient une idée directrice et absorbante, qui détermine l’être à la réaliser par une action. On sait ce qui se passe dans les organes de la génération à l’époque de la puberté, les phénomènes qui s’ensuivent dans l’imagination et l’impulsion finale à l’acte. On ne naît pas avec la représentation toute faite de l’autre sexe, et c’est pourtant ce qui aurait dû se produire s’il existait des représentations vraiment innées : tout être devrait arriver à la vie avec l’image de l’acte qui l’a produit et a produit la série indéfinie de ses ancêtres. Mais ce qui est inné, ici encore, c’est simplement une structure organique qui, accumulant de la force dans les organes appropriés, tend à la dépenser ; de là un sentiment de tension, une émotion correspondante de malaise, puis des excitations innées et spontanées accompagnées de plaisir. Ce sont toutes ces sensations et émotions actuelles qui finissent par réveiller et induire les représentations déjà acquises

  1. Darwin a remarqué que les grands oiseaux étaient plus farouches que les petits, parce qu’ils ont été plus constamment persécutés ; et Haudsley ajoute que, dans son pays, parmi les petits oiseaux, le rouge-gorge est le moins peureux, parce qu’on inculque depuis longtemps aux enfans l’opinion que le meurtre d’un rouge-gorge est un péché.