Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Spencer, ne serait « qu’une action réflexe composée. » Enfin, si la liaison des mouvemens avec les impressions sensibles est encore imparfaite et laisse place à la conscience, elle constitue alors l’appétit, le désir, l’action volontaire et intelligente. La vie intelligente ne serait ainsi, d’après M. Spencer, que l’instinct encore imparfaitement organisé, un automatisme qui doit sa conscience à sa lenteur, comme une machine que ses frottemens mêmes rendraient lumineuse[1].

Cette nouvelle application de la doctrine mécaniste nous amène à nous poser ce problème fondamental : — Est-il vrai que ce soit le mouvement réflexe et purement automatique qui explique l’instinct et le désir ? N’est-ce point au contraire le désir, ou du moins l’appétit, qui est la commune origine de l’instinct et de cette action réflexe qu’on nous présente aujourd’hui comme l’explication unique et suffisante de toute la vie mentale ? Dans cette seconde hypothèse, l’évolution n’aurait plus pour point de départ un automatisme brut, pas plus chez les animaux que chez l’homme : son vrai point de départ serait une impulsion ayant un fond mental en même temps que des lois mécaniques. C’est là une conséquence dont on pressent toute l’importance pour la théorie générale de l’univers, puisqu’il s’agit de savoir si le ressort primitif est un mécanisme exclusivement matériel ou un moteur d’ordre moral.


I

Entre l’intelligence et le mécanisme brut il y a un intermédiaire dont le rôle, selon nous, n’a pas été mis dans tout son jour : l’appétit. L’appétit, — comme la faim, la soif, le besoin de mouvement ou de repos, — est une impulsion accompagnée de peine ou de plaisir vague ; c’est bien, par conséquent, un état de conscience, sinon un acte d’intelligence. Or l’appétit se retrouve au fond de tout instinct, sous forme d’un besoin demandant à se satisfaire. Quand le jeune écureuil, qui ne connaît point encore l’hiver, fait cependant d’avance sa provision de noisettes, il ne se représente point le résultat de son acte, il n’a ni l’idée de l’hiver, ni celle du froid, ni celle de la disette, il agit sans une intention préconçue ; mais il agit cependant en vertu d’une sorte de besoin, avec un certain plaisir à faire ce qu’il fuit. Si donc il n’a pas conscience du but de ses actes, il a quelque conscience de ses actes eux-mêmes à mesure qu’il les accomplit. De même, quand l’enfant mange, il ne se représente ni la digestion ni l’assimilation, mais il a pourtant conscience du malaise

  1. Voir, dans la Revue du 1er août, notre étude sur l’Homme automate.