Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son radical même, impliquait l’idée de commandement, de préséance, d’autorité. Il s’était appliqué, dans un camp romain, à la tente du général ; dans les provinces, au palais du gouverneur. Le voici maintenant qui s’applique, sur chaque domaine rural, à la demeure du maître. L’histoire d’un mot marque le cours des idées. Nul doute que, dans la pensée des hommes, cette demeure du maître ne fût, à l’égard de toutes les autres constructions éparses sur le domaine, la maison qui commandait. L’appeler prœtorium, c’était comme si l’on eût dit la maison seigneuriale ou le château. Un écrivain du temps, Palladius, recommandait de la construire à mi-côte et toujours plus élevée que la villa rustica. De cette façon, la maison du propriétaire dominait la ferme ou le village peuplé de ses serviteurs. Cette maison du maître n’avait certainement pas l’aspect du château du Xe siècle. Les turres dont il est quelquefois parlé, n’y sont pas des tours féodales. On n’y voit ni fossés, ni enceinte, ni herse, ni créneaux, mais plutôt des avenues et des portiques qui invitent à entrer. C’est que l’on vit dans une époque de paix et qu’on se croit en sûreté. A peine voyons-nous, vers le milieu du Ve siècle, quelques hommes penser, comme Pontius Léontius, à fortifier leur villa, à l’entourer d’une muraille « que le bélier ne puisse pas renverser. » C’est alors seulement, pour résister aux pillards de l’invasion, qu’on a l’idée de transformer la villa en un château-fort. Jusque-là, la villa était un château, mais un château des temps paisibles et heureux, un château élégant, somptueux et ouvert.

Là, ces grands propriétaires passaient la plus grande partie de l’année, entourés de leur famille et d’un nombreux cortège d’esclaves, d’affranchis, de cliens. Ces mêmes hommes, d’ailleurs, tenaient le premier rang dans « la cité » et dans « la province. » Ils commençaient, d’ordinaire, par être magistrats municipaux. Ils donnaient des jeux publics, des festins au peuple de leur ville. Ils faisaient volontiers les frais d’un monument utile, d’un aqueduc, d’un bain, d’un théâtre. Loin de rester étrangers à la vie politique, c’étaient eux qui dirigeaient les affaires, et ils le faisaient gratuitement, non sans grandes dépenses. Ils siégeaient dans les assemblées provinciales, contrôlaient la conduite des gouverneurs, allaient à Rome comme « légats » de leur province, dont ils portaient les plaintes ou les vœux. Beaucoup d’entre eux, non contens des dignités locales, entraient dans la carrière des honneurs publics ; ils étaient sénateurs romains. Ils servaient ce qu’on appelait « la république » ou a le prince ; » les deux dénominations étaient également employées, et les deux idées s’associaient dans l’esprit. Ils gouvernaient des provinces et quelquefois commandaient des armées ; ils étaient ministres dans le palais, préfets du prétoire,