Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/866

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Passons au colonat. Nous ne pouvons sans doute pas affirmer qu’il n’y ait jamais eu de domaines distribués tout entiers à des colons. Une assertion si générale, en présence de documens si rares, serait plus qu’imprudente. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il était plus ordinaire que les colons n’occupassent qu’une partie d’un domaine. Dans la curieuse inscription relative au saltus Burunitanus, nous voyons clairement qu’une portion du grand domaine était tenue par les colons et qu’une autre était exploitée directement au nom du propriétaire. Il y a au code théodosien une instruction adressée aux fonctionnaires impériaux sur la manière dont ils doivent dresser l’inventaire d’une propriété, au moment où cette propriété passe des mains d’un particulier dans celles du prince : « Pour ce qui est du terrain, on devra d’abord en indiquer l’étendue, en distinguant soigneusement ce qui est en vignes, en oliviers, enterres labourées, en prés, en bois. Pour ce qui est des hommes, on inscrira d’abord les esclaves, en distinguant ceux qui sont attachés au service de la personne et ceux qui sont employés à l’exploitation rurale ; ensuite on écrira les esclaves casés et les colons. « Il est donc certain que, sur les registres officiels, les petits tenanciers serfs ou colons étaient séparés des esclaves occupés à l’exploitation directe. Ils étaient séparés d’eux aussi sur le domaine. Visiblement, le propriétaire n’avait pas mis toute sa terre dans les mains des colons ; il s’en était réservé une part avec un groupe d’esclaves pour la cultiver. Quelquefois on avait imaginé d’employer les mêmes colons, qui cultivaient librement leurs lots de terre, à cultiver aussi la terre réservée. C’était la règle, nous le savons, sur le saltus Burunitanus. Notre inscription montre que chaque colon devait fournir chaque année deux corvées de labour, deux de semailles et deux de moisson. C’était comme une partie du loyer de sa tenure. Il payait la jouissance de son lot de terre, à la fois par le champart de cette terre et par six jours de travail sur la terre réservée.

En résumé, le domaine rural était un organisme assez complexe. Il contenait, autant que possible, des terres de toute nature, champs, vignes, prés, forêts. Il renfermait aussi des hommes de toutes les conditions sociales, esclaves, affranchis, colons, hommes libres. Le travail s’y faisait par deux organes bien distincts, qui étaient, l’un le groupe servile, l’autre la série des petits tenanciers. Le terrain y était aussi divisé en deux parts, l’une qui était aux mains des tenanciers, l’autre que le propriétaire gardait dans sa main. Il faisait cultiver celle-ci, soit par un groupe servile, soit par les corvées des tenanciers, soit enfin par une combinaison de l’un et de l’autre système. Il y avait eu ce dernier cas un groupe servile peu nombreux, auquel venaient s’ajouter les bras des tenanciers dans les momens de l’année où il fallait beaucoup de bras. Il tirait aussi de son domaine