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neuvième, travailler à la culture. Voilà bien les deux parts : l’une distribuée en petites tenures, l’autre exploitée directement. La part réservée comprend sans doute, outre la maison principale et les jardins qui l’entourent, la forêt de chênes et d’yeuses dont les ombrages plaisent tant à Horace ; elle comprend aussi des terres à blé, « ces terres qui lui donnent chaque année leur moisson sans jamais le tromper ; » elle renferme aussi ce petit vignoble dont le vin, si médiocre qu’il soit, est mis en bouteilles par le poète lui-même. La part distribuée en tenures renferme d’autres terres à blé, peut-être aussi quelques pièces de vigne et des prairies. Ce sont les lots de ceux que le poète appelle « les cinq braves pères de famille, » c’est-à-dire des cinq fermiers[1].

Ce même partage du domaine ressort des textes des jurisconsultes comme un usage fréquent qu’ils n’ont pas à expliquer et auquel ils se contentent de faire allusion. Scævola, par exemple, parle, comme d’une chose habituelle, du domaine qui a été vendu ou légué « avec les pécules des esclaves et l’arriéré des fermiers. » Ces deux classes d’hommes vivent donc ensemble sur la même terre, et comme il est certain qu’elles travaillent différemment et sans contact entre elles, leur présence simultanée implique que le domaine est divisé en deux parts distinctes. Un fragment d’Ulpien montre comment chaque domaine était inscrit sur les registres de l’impôt foncier. On ne se contentait pas d’indiquer l’étendue ou la valeur de l’ensemble : on marquait les diverses sortes de culture, « combien il s’y trouvait d’arpens en labour, combien en vignes ou en oliviers, combien en prés, en pâquis, en bois. » Puis on inscrivait encore sur les registres combien ce domaine renfermait d’esclaves, en distinguant les laboureurs, les vignerons, les bergers, les ouvriers. Enfin, le propriétaire devait faire inscrire les noms de ceux qui habitaient son domaine comme locataires ou comme fermiers. Telle était, suivant Ulpien, la formule de l’inventaire cadastral. Cette formule implique que c’était un usage fréquent d’avoir sur une même terre des esclaves et des fermiers. Ces deux classes d’hommes n’étaient sans doute pas plus confondues sur le domaine qu’elles ne l’étaient sur les registres officiels, et nous pouvons admettre que chacune d’elles avait son terrain à part.

Nous n’entendons pas par là une division géométrique ; nous ne savons pas si une ligne nettement tracée sépare le domaine en deux. Il est plus vraisemblable que les deux portions s’enchevêtrent l’une dans l’autre, chacune étant composée d’une série de

  1. Les lecteurs connaissent l’étude de M. Gaston Boissier, qui a su retrouver et décrire le domaine d’Horace à l’aide de quelques vers du poète et de ses propres voyages. Voyez la Revue du 15 juin 1883.