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était un profit sûr et dépassait peut-être ce que l’exploitation directe lui eût donné. L’esclave travaillait plus ; la terre et le propriétaire s’en trouvaient mieux. Les plus sûrs progrès sont ceux que les divers intérêts s’accordent à accomplir en commun. Il arriva donc naturellement que le maître, sans y être forcé par aucune loi, laissa la terre aux mains du même esclave toute sa vie. L’esclave mort, ses enfans ne réclamèrent pas la terre, mais le maître trouva naturel et même profitable de la leur laisser. Il leur renouvela la concession faite au père. Au besoin, il aurait pu la leur imposer comme obligation. Dans l’un ou l’autre cas, la tenure servile devenait permanente et presque héréditaire.

Ni les lois, ni le gouvernement n’avaient à s’occuper de faits qui se cachaient dans l’intérieur des domaines et qui ne concernaient que la vie privée. Pourtant, lorsque ces faits se furent multipliés et que ces situations se furent fixées par un long usage, l’autorité publique fut amenée à en tenir compte. On sait qu’il fut fait un grand effort, à la fin du IIIe siècle, pour arriver à une répartition plus égale de l’impôt foncier et peut-être aussi pour lui faire produire davantage. Les auteurs des nouveaux cadastres, trouvant sur les champs beaucoup d’esclaves à demeure, imaginèrent de faire de ces cultivateurs un élément d’appréciation des revenus fonciers, et ils en vinrent naturellement à les inscrire sur les registres du cadastre. De là ces « serfs ascrits » dont il est parlé souvent dans les codes. Il y a quelque apparence que cette mesure aggrava leurs charges pécuniaires. Ce qui est certain, c’est qu’elle affermit leur situation et leur donna une plus grande sécurité. Les inscrire sur les registres de l’impôt, c’était reconnaître légalement leur condition. C’était leur fournir une sorte de titre d’occupation de leur champ. C’était presque interdire au maître de les déposséder ou lui rendre au moins l’éviction plus difficile. Insensiblement, le législateur alla plus loin : il interdit au maître de vendre ses esclaves, à moins qu’il ne vendît en même temps la terre qu’ils occupaient. Ce n’était pas précisément défendre au maître de leur reprendre leurs tenures ; mais c’était lui enlever le principal intérêt qu’il aurait en parfois à les leur reprendre. Par là, cet esclave fut réellement attaché à un lot de terre. Il le fut en ce double sens qu’il ne dut jamais quitter son champ et que le maître ne put pas lui enlever ce même champ. Dire que cet esclave acquit par là des droits sur la terre serait trop dire. Jamais la législation romaine ne reconnut pareils droits à un homme qui restait toujours de condition servile. Mais le maître savait qu’il ne vendrait pas sa terre sans ses esclaves ; c’était assez pour qu’il prit l’habitude de laisser sa terre dans leurs mains. Il arriva ainsi qu’une famille d’esclaves vécut pendant plusieurs générations sur une même glèbe. L’usage et les mœurs firent