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qu’à ce moment tels fussent les sentimens de tous ses membres. Mais La Grange, homme de convenance et de discrétion, ne revient plus sur ce chapitre ; il aurait en sans doute trop à dire. En regardant les choses de près, on voit que, chez Molière, ces « manières engageantes » se conciliaient très bien avec un ton d’autorité et une brusquerie rendus nécessaires par la turbulence et l’indiscipline de ses comédiens. Lorsqu’il s’adresse à eux, dans l’Impromptu de Versailles, écoutez de quel style il leur parle : « Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens-là ! .. Têtebleu ! messieurs, me voulez-vous faire enrager aujourd’hui ? Ah ! les étranges animaux à conduire que des comédiens ! .. Songeons à répéter, s’il vous plaît… Or sus commençons… Bon ! voilà l’autre qui prend le ton de marquis ! Vous ai-je pas dit que vous faites un rôle où l’on doit parler naturellement ? » On dirait autant de coups de fouet ou de bride pour maintenir un attelage indocile ; la parole est saccadée, fiévreuse ; le geste et l’allure devaient être à l’avenant. Aux récriminations, il répond par des coups de boutoir, il force les résistances par des mots piquans : « Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bête l » dit-il crûment à Armande. Mlle du Parc reçoit avec mauvaise humeur « un rôle de façonnière, » sous prétexte qu’elle n’est rien moins que cela : « Mon Dieu ! mademoiselle, répond Molière avec une ironie transparente, vous le jouerez mieux que vous ne pensez -et c’est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Prenez bien garde à vous déhancher comme il faut et à bien faire des manières. Cela vous contraindra un peu ; mais qu’y faire ? Il faut parfois se faire violence. » De même, çà et là, dans les conseils qu’il donne à ses acteurs sur le caractère de leur rôle, il semble faire la satire de leurs défauts.

Ses ennemis profitaient naturellement, pour le peindre en laid d’une manière d’être qu’il exposait lui-même si complaisamment. Tout le dernier acte d’Élomire hypocondre n’est qu’un développement haineux sur le thème de l’Impromptu, et nous y voyons la troupe entière en révolte déclarée. Confirmant ce que dit Chappuzeau, que « les comédiens ne peuvent souffrir entre eux la monarchie, qu’ils ne veulent point de maître particulier et que l’ombre seule leur en fait peur, » tous ses membres se récrient comme un seul homme lorsque Molière exprime la prétention d’être obéi :


Le maître ! double fat, en est-il parmi nous ?


Aussi leur reproche-t-il amèrement leur ingratitude et leur indiscipline. — Qui ne serait surpris, s’écrie-t-il,