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et joue avec la mort à ses côtés, c’est une ivresse de mépris et de dérision contre la médecine, les médecins et les malades ; il revient au procédé brutal de l’Amour médecin, institue un débat sur la médecine, soutient contre elle une thèse, et en son propre nom, car il se nomme ; pour cela, il interrompt l’action par une interminable scène, où l’on est obligé de faire maintenant de larges coupures. Une dernière fois, la passion a mal servi le poète ; pour un moment, elle est parvenue à le rendre diffus et froid.

De cette chronologie et de ces indications sur les maladies de Molière, de ces différences d’inspiration et de conduite dans ses pièces où la médecine entre pour quelque chose, on peut induire avec quelque vraisemblance l’influence profonde que le mal dont il souffrait exerça sur son caractère. Que les médecins d’alors dussent nécessairement attirer l’attention d’un poète comique, c’est ce qu’a pleinement établi Maurice Raynaud, auteur compétent entre tous d’un excellent livre, les Médecins au temps de Molière. Cependant, offraient-ils matière à des attaques si répétées ? Une pièce y suffisait, semble-t-il, et il y en a cinq. Cet acharnement ne peut s’expliquer que par des raisons personnelles au poète. Souvent malade, il demande la guérison aux médecins ; ils la lui promettent et ne peuvent la lui donner. De là un premier accès d’irritation, qui coïnciderait avec Don Juan. Son mal s’aggrave, et, bien qu’il ait jugé les guérisseurs du premier coup, il fait ce que les plus sceptiques font en pareil cas : il les appelle de nouveau, et les plus considérables, les plus renommés. Alors il est à la fois témoin et sujet d’une consultation semblable à celle de 'l’Amour médecin. Refuse-t-il, du moins, de se soumettre à leurs ordonnances ? Grimarest a beau prétendre, sur un on-dit, qu’il « se servoit fort rarement des médecins et n’avoit jamais été saigné, » et lui-même, dans sa conversation avec le roi, qu’il ne fait pas de remèdes : nous avons l’affirmation contraire de Donneau de Visé, alors réconcilié avec lui, qu’il « n’étoit pas convaincu lui-même de tout ce qu’il disoit contre les médecins, » et que, « pendant une oppression, il se fit saigner jusques à quatre fois en un jour. » Nous avons surtout cette révélation, contenue dans l’inventaire de ses papiers, qu’il occupait deux apothicaires, les sieurs Frapin et Dupré, chez lesquels il faisait un compte de 187 livres. Outre ses apothicaires, nous avons vu qu’il s’était muni, depuis 1669, d’un médecin attitré, et Maurice Raynaud nous apprend quelle sorte d’homme était celui-ci. Il s’appelait Mauvilain ; frappé par la faculté pour ses hérésies de doctrine, c’était un novateur, partisan des remèdes hardis, habile du reste, et beau parleur. Molière n’était pas allé à lui du premier coup : il avait commencé par les médecins officiels, ceux du roi et de la cour, puis, voyant qu’ils ne pouvaient rien, il