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nos auteurs et nos anciens maîtres sans découvrir encore au peuple, par nos débats et nos querelles, la forfanterie de notre art ? Puisque le ciel nous fait la grâce que depuis tant de siècles on demeure infatué de nous, ne désabusons point les hommes avec nos cabales extravagantes et profitons de leurs sottises le plus doucement que nous pourrons. Leur plus grand faible, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie, et nous en profitons, nous autres, par notre pompeux galimatias. » Ce n’est plus là le langage de la comédie, où les caractères doivent se peindre d’une façon inconsciente, mais de la pure satire. Jamais un médecin n’a parlé ni ne parlera de la sorte ; c’est Molière lui-même qui exprime sa propre pensée avec insistance, avec acharnement, car la tirade est très longue et je n’en donne que l’essentiel. Il faut que sa rancune ait été bien forte pour lui faire commettre une faute contre son art.

C’est que, à ce moment, il commençait à souffrir sérieusement et la médecine n’avait pu ni le guérir, ni peut-être le soulager. L’Amour médecin est du 15 septembre 1666 et, six mois après, le 21 février 1667, Robinet nous apprend que le poète avait failli mourir. Au mois d’avril 1667, il est encore « tout proche d’entrer dans la bière ; » il doit se mettre au régime exclusif du lait et rester deux mois éloigné du théâtre. Dans l’intervalle de ces deux maladies, il a composé une nouvelle pièce contre l’art menteur et ses adeptes, le Médecin malgré lui, dont la première représentation est du 6 août 1666. Cette fois, le naturel du poète comique reprend le dessus sur la rancune de l’homme ; la pièce ne contient plus de profession de foi invraisemblable ; elle est toute en action et les traits portent d’autant mieux. Les trois années qui suivent marquent une période de trêve dans cette guerre déclarée à la médecine ; non-seulement Molière n’écrit rien contre elle, mais dans la préface de Tartufe, publiée en 1669, il semble faire amende honorable : « La médecine est un art profitable, dit-il, et chacun la révère comme une des plus excellentes choses que nous ayons. » La même année, il est au mieux avec un « fort honnête médecin, dont il a l’honneur d’être le malade, » car il sollicite pour lui la faveur royale et plaisante agréablement sur ces relations, aussi bien dans le placet lui-même que dans une conversation avec Louis XIV : « Que vous fait votre médecin ? lui disait le roi. — Sire, répondait Molière, nous raisonnons ensemble, il m’ordonne des remèdes, je ne les fois point et je guéris. » Mais ces bons rapports ne durent pas, sinon avec ce médecin-là, du moins avec les autres. Le placet cité est du mois de février et, en septembre, Molière reprend les armes avec Monsieur de Pourceaugnac. Cette fois encore, les coups sont terribles et portés de sang-froid : point de thèses, mais la médecine elle-même parlante et agissante. Enfin, dans sa dernière pièce, le Malade imaginaire, qu’il compose