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semble résulter d’une lettre de Chapelle qu’à son arrivée à Paris Molière entretenait un commerce galant avec une de ses comédiennes, Mlle Menou, et qu’il excitait par là de vives jalousies dans la troupe. Plus tard, il est l’amant heureux ou malheureux de Mlle du Parc, que Racine lui enlève, et de Mlle de Brie, pourvues l’une et l’autre de maris philosophes. Mais, ici encore, n’eussions-nous aucun renseignement positif, il suffirait de feuilleter ses œuvres pour deviner, à la place qu’il y donne à l’amour, celle que l’amour tint dans sa vie. Il était jaloux, et il peint toutes les sortes de jalousie, depuis celle qui caresse comme une flatterie, jusqu’à celle qui insulte et qui blesse. Dans les Fâcheux, il institue sur elle toute une discussion théorique, et il en présente le pour et le contre avec une subtilité digne de l’Hôtel de Rambouillet. Il en fait le ressort et le sujet de deux pièces entières : l’une sérieuse, Don Garcie de Navarre, l’autre grotesque, Sganarelle. C’est encore de la jalousie qu’il s’inspire pour peindre ces délicieuses scènes de brouille et de raccommodement qui reviennent si souvent dans ses pièces. Il effleure même, dans Amphitryon, une forme assez particulière de jalousie dont la littérature devait grandement abuser plus tard, celle de l’amant à l’égard du mari. Ailleurs, dans l’École des femmes, c’est la jalousie désespérée du vieillard rival d’un jeune homme. Toutes les sortes d’amour lui portent bonheur ; il les exprime avec une vérité suprême, soit en de petites scènes où l’action se pose un moment, mais qui ne tiennent à l’intrigue que par un fil léger, ou dans des pièces entières, inspirées de lai seul. Et toujours, à la sincérité, à l’effusion du poète, on devine qu’il n’y a point là développement heureux des lieux-communs du théâtre, mais expression de sentimens personnels. Nul moins que lui n’est idéaliste et platonique. Les raffinemens des précieuses, leur prétention de réduire « les flammes »


À cette pureté
Où du parfait amour résidé la beauté,


tout cela lui parait un ridicule défi à la nature. Il ne perd jamais une occasion de célébrer l’amour simple et complet, celui qu’inspire la bonne loi naturelle. A défaut de l’amour, il se contente du plaisir ; il y invite, il y excite, dans les vers qu’il mêle aux divertissemens de ses pièces ; déjà saisi par la mort, il le chantait encore dans un intermède du Malade imaginaire.

Au penchant vers l’amour et le plaisir il joignait ces qualités affectueuses qui ne sont le privilège d’aucune philosophie, mais que l’on rencontre souvent, elles aussi, chez les épicuriens, car ils n’oublient pas de leur demander un charme aussi vif que celui de