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se brouillèrent ; mais l’amitié de Molière avec les trois autres survécut à la brouille, comme aussi une estime réciproque entre Racine et lui. Boileau, surtout, trouva le moyen de rester également uni aux deux poètes, séparés par les deux plus fortes causes de ressentiment qu’il y ait au monde : une rivalité amoureuse et une antipathie de métier. Il visitait assidûment Molière, lui lisait ses ouvrages, lui donnait et en recevait d’utiles conseils ; et, plus tard, avec quelle émotion, réunissant dans une même épître les deux noms de Molière mort et de Racine survivant, il opérait leur réconciliation posthume ! Lorsque parurent les Plaideurs, Molière proclama l’excellence de la pièce contestée ; quant à Racine, s’il jugeait mal l’Avare, il répondait à un complaisant qui croyait lui être agréable en dépréciant le Misanthrope : « Il est impossible que Molière ait fait une mauvaise comédie ; retournez-y et examinez-la mieux. »

En dehors de ceux avec qui il était en guerre forcée et comme naturelle, on ne trouve pas Molière moins sûr de relations avec ses autres contemporains. Plusieurs eurent des torts envers lui ; il est impossible de lui en découvrir envers aucun. Dans la Critique de l’Ecole des femmes, il avait légèrement traité la tragédie, et le grand Corneille, dit-on, avait reconnu la sienne propre dans celle qui « se guindé sur les grands sentimens, brave en vers la fortune, accuse les destins et dit des injures aux dieux. » De là une vire irritation chez le vieux poète, d’autant plus sensible aux allusions de ce genre qu’il voyait la faveur s’éloigner de son théâtre. Lorsque la fièvre de la bataille fut tombée, Molière n’eut pas de peine à lui persuader que cette attaque ne visait pas l’auteur du Cid et, par ses bons procédés, il effaça jusqu’au souvenir de la blessure. Lui-même, en effet, jouait assidûment Corneille, il le prit pour collaborateur dans Psyché, il représenta d’original Bérénice et Attila, en payant ces deux pauvres pièces 2,000 livres chacune ; et jamais encore droits d’auteur n’avaient atteint ce chiffre. J’ai déjà dit ce qu’il avait fait pour Lulli et comment « l’homme de Florence » le paya de retour. Pendant ses courses en province, il avait connu Mignard, et cette rencontre fut le point de départ d’une constante amitié. Molière donna la fille de Mignard pour marraine à l’un de ses enfans ; Mignard peignit plusieurs fois le portrait de Molière, et, lorsqu’il eut terminé la fresque du Val-de-Grâce, Molière, non content de célébrer ce grand travail avec l’enthousiasme que l’on sait, plaida courageusement auprès de Colbert la cause de son ami, « mauvais courtisan, » qui donnait plus à l’étude qu’à a la visite, » et n’aimait pas à « fatiguer les portiers » des grands. Il avait un autre ami intime, le physicien Rohault, et à tous deux u il se livrait sans réserve. » Avec les autres, il était